Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/14

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père, Jean Wolfgang Textor[1], maire de la ville, en prit occasion de faire établir un accoucheur, et introduire ou renouveler une école d’accouchement, ce qui a pu profiter à plusieurs de ceux qui sont nés après moi.

Quand nous cherchons à nous rappeler ce qui nous est arrivé dans notre première enfance, nous sommes souvent exposés à confondre ce que d’autres personnes nous ont dit avec ce que nous devons réellement à notre expérience et à nos observations propres. Ainsi donc, sans entreprendre là-dessus une exacte recherche, qui d’ailleurs ne peut mener à rien, je me rappelle que nous habitions dans un vieux bâtiment, qui se composait proprement de deux maisons dont on avait percé les murs. Un escalier tournant conduisait à des chambres indépendantes, et des marches remédiaient à l’inégalité des étages. La place favorite des enfants (une sœur cadette et moi) était le spacieux vestibule d’en bas, qui avait, à côté de la porte, un grand treillis de bois, par lequel on communiquait avec la rue et le grand air. Cette sorte de cage, beaucoup de maisons en étaient pourvues. Les femmes s’y tenaient assises pour coudre et pour tricoter ; la cuisinière y épluchait la salade ; de là, les voisines jasaient entre elles ; et les rues y gagnaient, dans la belle saison, un aspect méridional. On se sentait libre, parce qu’on était familiarisé avec le public. Les enfants aussi entraient en liaison avec les voisins par ces galeries, et trois frères d’Ochsenstein, fils du maire défunt, lesquels demeuraient vis-à-vis, me prirent en grande affection, et s’occupaient de moi et me taquinaient de diverses façons. Mes parents racontaient toute sorte d’espiègleries auxquelles m’excitaient ces hommes, d’ailleurs sérieux et retirés. Je ne rapporterai qu’une de ces incartades. Il y avait eu un marché de poteries, et non-seulement on avait fourni pour quelque temps la cuisine de ces marchandises, mais on nous avait acheté, comme jouets, des ustensiles pareils en, miniature. Par une belle après-midi, que tout était tranquille dans la maison, je m’amusais dans la galerie avec mes plats et mes pots, et, comme je ne savais plus quel plaisir y prendre, je jetai un de ces jouets dans la rue, et je trouvai plaisant de le voir

  1. C’est de lui que Goethe a reçu ses prénoms, Jean Wolfgang.