Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/168

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et à la grande ardoise. Sans me laisser trop interrompre par quelques questions et quelques chicanes, je poursuivis jusqu’au bout mon exposé, à la satisfaction générale, vivement encouragé par l’attention soutenue que me prêtait Marguerite. Elle me remercia quand j’eus lini. Elle portait envie, disait-elle, à tous ceux qui étaient instruits des choses de ce monde, qui savaient comment se passe ceci et cela, et quelle en est la signification. Elle souhaitait d’être un garçon, et savait reconnaître, avec beaucoup de grâce, qu’elle me devait déjà bien des connaissances. « Si j’étais un garçon, disait-elle, nous irions aux universités faire ensemble de bonnes études. » L’entretien continua de la sorte. Marguerite se proposait sérieusement d’apprendre le français, ayant reconnu chez la marchande de modes qu’il lui était indispensable. Je lui demandai pourquoi elle n’y allait plus, car, dans ces derniers temps, où je ne pouvais beaucoup m’écarter le soir, j’avais passé quelquefois pendant le jour, pour l’amour d’elle, devant la boutique, afin de la voir du moins un instant. Elle m’apprit que, dans ce temps d’agitation, elle n’avait pas voulu s’exposer là. Quand la ville serait revenue à son premier état, elle se proposait d’y retourner. Nous parlâmes ensuite de l’élection, dont le jour approchait. Je sus conter l’affaire tout au long et comment elle se passerait, appuyant ma démonstration de dessins détaillés, que je traçais sur la table, car j’avais parfaitement présente à l’esprit la salle du conclave, avec ses autels, ses trônes, ses sièges et ses fauteuils. Nous nous séparâmes à une heure convenable et dans un parfait contentement. C’est que, chez un jeune couple que la nature a formé avec une certaine harmonie, il n’est rien qui rende l’union plus belle que si la jeune fille aime à s’instruire et le jeune homme à enseigner. Il en résulte une liaison aussi solide qu’agréable. Elle voit en lui le créateur de sa vie intellectuelle, et lui en elle une créature qui doit son accomplissement, non pas à la nature, au hasard, à une volonté isolée, mais à la volonté de tous deux ; et cette action mutuelle est si douce que nous ne devons pas être surpris si, depuis l’ancien et-le nouvel Abélard, une pareille rencontre de deux êtres a produit les plus violentes passions et autant de félicité que d’infortune.

Dès le jour suivant, il y eut un grand mouvement dans la