Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me devint bientôt familier ; je le sus par cœur avant de le comprendre.

En général, mon père aimait à enseigner, et, vivant éloigné des affaires, il se plaisait à transmettre à d’autres son savoir et ses aptitudes. C’est ainsi que, dans les premières années de leur mariage, il astreignit ma mère à cultiver son écriture, comme à jouer du clavecin et à chanter, ce qui l’obligea aussi d’acquérir quelque connaissance et une légère pratique de la langue italienne.

Nous passions d’ordinaire nos heures de récréation chez notre grand’mère, dont la chambre spacieuse nous offrait assez de place pour nos jeux. Elle savait nous occuper de mille bagatelles, et nous régaler de mille friandises. Mais, dans une veille de Noël, elle mit le comble à ses largesses en nous donnant un spectacle de marionnettes, et, par là, elle créa dans la vieille maison un monde nouveau. Ce spectacle inattendu captiva puissamment les jeunes esprits ; il fit particulièrement sur le petit garçon une impression très-forte, qui se lit plus tard sentir dans une grande et durable activité.

Le petit théâtre, avec ses personnages muets, qu’on s’était borné d’abord à nous montrer, mais qu’on nous remit plus tard, pour nous exercer nous-mêmes et pour l’animer par nos conceptions dramatiques, dut avoir pour nous d’autant plus de prix, qu’il fut le dernier legs de notre bonne grand’mère, que les progrès de la maladie dérobèrent d’abord à nos yeux, et que la mort nous arracha ensuite pour toujours. Ce fut pour la famille un événement d’une grande importance, qui amena un changement complet dans notre situation.

Aussi longtemps que notre grand’mère avait vécu, mon père s’était abstenu de rien changer ou renouveler dans la maison ; mais on savait bien qu’il projetait une grande construction, qui, en effet, fut entreprise sur-le-champ. A Francfort, comme dans beaucoup de vieilles cités, pour gagner de la place, dans la construction des maisons de bois, on s’était permis de bâtir en saillie, non-seulement le premier étage, mais aussi les étages supérieurs, ce qui donnait, particulièrement aux rues étroites, quelque chose de triste et de sombre. Enfin une loi fut rendue, qui portait que celui qui bâtissait de fond en comble une mai-