Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/205

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haut des collines, serpenter au loin. Mayence excita notre admiration ; mais il ne put enchaîner notre jeune ardeur, qui voulait se donner un libre essor ; nous gagnâmes Biberich, dont la situation nous ravit, et, joyeux et contents, nous reprîmes le chemin de la maison.

Toute cette promenade, dont mon père se promettait de nombreux dessins, avait été à peu près stérile ; en effet, quelle intelligence, quel talent, quelle expérience ne faut-il pas pour saisir comme tableau un vaste paysage ! J’étais insensiblement ramené aux sujets circonscrits, où je trouvais quelque butin à faire ; je ne rencontrais pas un château en ruines, une muraille rappelant les temps passés, sans y voir un objet digne de mes crayons, et sans l’esquisser de mon mieux. Je dessinai même le monument de Drusus sur les remparts de Mayence, avec quelque risque et quelque péril, auxquels doit s’exposer tout voyageur qui veut rapporter chez lui quelques souvenirs dans son album. Par malheur, je n’avais pris, cette fois encore, que de mauvais papier commun, et j’avais entassé plusieurs dessins sur la même feuille ; mais mon paternel instituteur ne s’en laissa pas déconcerter : il coupa les feuilles par morceaux ; il fit rapprocher par le relieur les choses qui allaient ensemble, traça des encadrements autour de chaque feuille, et, par là, me contraignit réellement de prolonger jusqu’à la marge les profils de diverses montagnes, et de remplir le premier plan avec quelques plantes et quelques roches. Si ses efforts consciencieux n’élevèrent pas mon talent, du moins ce trait de son amour de l’ordre eut sur moi une secrète influence, qui déploya dans la suite ses effets de plus d’une manière.

Après ces courses de joyeux promeneur et d’artiste, qui pouvaient se faire en peu de temps et se répéter souvent, j’étais toujours ramené à la maison par un aimant qui, dès longtemps, agissait puissamment sur moi : c’était ma sœur. Elle n’avait qu’une année de moins que moi ; depuis que je me connaissais, elle avait vécu de la même vie, et, par là, elle s’était unie avec moi de la manière la plus intime. À ces causes naturelles se joignait un mobile qui tenait à notre situation de famille : un père affectueux et bon, mais sévère, qui, par cela même qu’il avait un cœur très-tendre, affectait, avec une persistance in-