Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/210

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et ses inclinations aussi constantes que prononcées et paisibles. Ce couple sérieux, qui ne s’était rencontré que plus tard, se distinguait tout particulièrement parmi les autres qui se connaissaient déjà davantage, et, de caractère plus léger, insouciants de l’avenir, se comportaient avec étourderie dans ces liaisons, simple prélude, ordinairement stérile, d’engagements futurs plus sérieux, et rarement suivies de conséquences durables.

La bonne saison, la belle contrée, furent mises à profit par une société si gaie ; on fit souvent des promenades sur l’eau, parce que, de toutes les parties de plaisir, ce sont les plus intimes. Au reste, que l’on se promenât sur l’eau ou sur la terre, les attractions particulières se montraient d’abord ; chaque couple se formait, et quelques jeunes gens, qui n’étaient pas engagés (j’étais du nombre), se trouvaient sans dames, ou du moins n’avaient pas celles qu’ils auraient choisies pour passer un jour de plaisir. Un de nos amis, qui-était dans le même cas, et qui se trouvait sans moitié, parce que, avec l’humeur la plus heureuse, il manquait de tendresse, et qu’avec beaucoup d’esprit, il n’avait pas les attentions nécessaires aux liaisons de ce genre, après avoir déploré souvent sa situation d’une manière enjouée et spirituelle, promit de faire à la réunion prochaine une proposition dont toute la société et lui-même se trouveraient bien. Il ne manqua pas de tenir sa promesse ; en effet, après une brillante course sur l’eau et une très-agréable promenade, comme nous étions entre des collines ombreuses, les uns couchés sur le gazon, les autres assis sur des pierres ou des racines moussues, après avoir fait gaiement un repas champêtre, notre ami, nous voyant tous joyeux et de bonne humeur, nous ordonna avec une dignité plaisante de nous asseoir en demi-cercle, puis il s’avança et se mit à pérorer avec emphase de la manière suivante :

« Très-chers amis et amies, assortis et non assortis ! On voit déjà clairement par cette apostrophe combien il est nécessaire qu’un prédicateur vous exhorte à la pénitence et réveille la conscience de la société. Une partie de mes nobles amis sont assortis et apparemment ils s’en trouvent bien ; une autre partie ne le sont pas et s’en trouvent fort mal, comme je puis l’assurer par