Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/214

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de la Bible qui n’allaient pas à la chose, de comparaisons qui ne cadraient pas, d’allusions qui n’expliquaient rien, il développa cette thèse, que celui qui ne sait pas cacher ses passions, ses inclinations, ses désirs, ses projets, ses plans, ne réussit à rien dans le monde, et se voit troublé et joué dans toutes ses entreprises ; que surtout, si l’on veut être heureux en amour, on doit viser au plus profond secret. Cette pensée circulait dans tout l’ensemble du discours sans être nulle part expressément énoncée. Si l’on veut se faire une idée de cet homme singulier, il faut savoir qu’étant né avec des dispositions très-heureuses, il avait cultivé ses talents, et surtout sa pénétration, dans les collèges des jésuites, et avait acquis, mais seulement du mauvais côté, une grande connaissance du monde et des hommes. Il pouvait avoir vingt-deux ans. Il aurait bien voulu m’inspirer son mépris du genre humain, mais il perdit sa peine avec moi, parce que j’avais encore un grand désir d’être bon et de trouver bons les autres hommes. Cependant j’ai été par lui rendu attentif à beaucoup de choses.

Pour compléter le personnel de toute société joyeuse, il faut nécessairement un acteur qui soit charmé que les autres personnes, pour animer les moments de calme, se plaisent à diriger sur lui leurs piquantes saillies. S’il n’est pas un Sarrasin rembourré, comme celui sur lequel les chevaliers essayaient leurs lances dans les joutes, mais qu’il sache lui-même escarmoucher, harceler et défier, blesser légèrement et se retirer, et, en paraissant se livrer à discrétion, porter aux autres une botte, on ne peut guère imaginer de chose plus agréable. Nous avions ce personnage dans notre ami Horn (corne), dont le nom donnait déjà lieu à mille plaisanteries, et que nous appelions toujours Hœrnchen (cornette) à cause de sa petite taille. Il était en effet le plus petit de la société ; il avait les formes dures, mais agréables ; son nez camus, ses lèvres un peu renversées, ses petits yeux étincelants, donnaient à son visage brun une expression qui semblait toujours provoquer le rire. Son petit crâne comprimé était couvert d’une épaisse chevelure noire et crépue, sa barbe était déjà bleue, et il aurait bien voulu la laisser croître pour égayer constamment la compagnie, comme un masque comique. Au reste, il était agile et bien fait, quoiqu’il prétendît