Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/221

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loin de tout secours et nous fîmes notre possible pour nous dégager. Je ne manquai pas d’y faire tous mes efforts, et il paraît que je fatiguai outre mesure les muscles de ma poitrine, car je sentis bientôt une douleur, qui disparut, qui revint, et ne cessa tout à fait que bien des années après.

Mais, cette même nuit, comme si elle eût été réservée à toutes les péripéties, je devais, après un plaisir inattendu, éprouver un piquant chagrin. Nous trouvâmes en effet à Auerstadt un mari et sa femme, gens de distinction, qui, retardés par les mêmes aventures, ne faisaient aussi que d’arriver. Le mari avait l’air noble et distingué ; il était dans la force de l’âge ; la femme était fort belle. Ils nous proposèrent obligeamment de souper avec eux, et je me trouvai fort heureux que l’aimable dame voulût bien m’adresser quelques mots gracieux. Mais, comme j’étais sorti pour hâter le souper attendu, n’étant point accoutumé aux veilles et aux fatigues de voyage, je fus pris d’une insupportable envie de dormir, si bien que je dormais, je puis dire, en marchant, et que je rentrai dans la chambre mon chapeau sur la tête, et, sans remarquer que les autres personnes faisaient leur prière avant le repas, je me tins machinalement comme eux debout derrière ma chaise, et ne me doutai point que, par ma conduite, j’étais venu fort plaisamment troubler leur dévotion. Avant que l’on prît place, Mme Fleischer, qui ne manquait ni d’esprit ni de caquet, pria les étrangers de ne pas trouver choquant ce qu’ils voyaient de leurs yeux ; son jeune compagnon de voyage avait de grandes dispositions pour les idées des quakers, qui croient ne pouvoir mieux honorer Dieu et le roi que la tête couverte. La belle dame, qui-ne put s’empêcher de rire, en parut plus belle encore, et j’aurais donné tout au monde pour n’être pas la cause d’une hilarité, qui d’ailleurs lui allait si bien. Au reste, j’eus à peine posé mon chapeau, que ces personnes, qui savaient leur monde, laissèrent aussitôt tomber ce badinage, et, nous versant le meilleur vin de leur cantine, dissipèrent complètement mon sommeil, mon chagrin et tout souvenir des maux passés.

J’arrivai à Leipzig à l’époque de la foire, qui me fit un plaisir particulier, parce que j’y voyais une suite de ce que j’avais vu ilans ma ville natale, des marchandises et des marchands con-