Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/228

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Chaque province aime son dialecte ; car c’est en définitive l’élément dans lequel l’âme respire. Mais chacun sait avec quel caprice le dialecte de Misnie a su dominer les autres et quelque temps même les exclure. Nous avons gémi nombre d’années sous ce régime pédantesque, et toutes les provinces ont dû soutenir bien des combats pour se rétablir dans leurs anciens droits. Ce qu’un jeune homme ardent doit souffrir sous cette férule perpétuelle, on en pourra juger aisément, si l’on réfléchit qu’avec l’expression, que l’on pourrait bien enfin se résoudre à changer, il faut sacrifier en même temps la façon de penser, l’imagination, le sentiment, le caractère national. Et cette exigence insupportable était imposée par des hommes et des femmes d’esprit, dont les convictions ne pouvaient devenir les miennes, dont je croyais sentir l’injustice, sans pouvoir m’en rendre compte. Je dus renoncer aux allusions bibliques, comme aux expressions naïves des chroniques ; je dus oublier que j’avais lu Geiler de Kaisersberg, renoncer à l’usage des proverbes, qui toutefois, sans barguigner longtemps, frappent droit sur la tête du clou. Tout ce que je m’étais approprié avec une ardeur de jeunesse, je devais y renoncer. Je me sentais paralysé jusqu’au fond de l’âme, et ne savais presque plus comment je devais m’exprimer sur les choses les plus communes. Avec cela, j’entendais dire qu’on doit parler comme on écrit, et écrire comme on parle : tandis que écrire et parler me paraissaient tout de bon deux choses différentes, dont chacune avait ses droits à faire valoir. Et il me fallait entendre, dans le dialecte de Misnie, bien des choses qui auraient fait une assez triste figure sur le papier.

À voir quelle influence décisive exercent sur un jeune étudiant des femmes et des hommes cultivés, des savants et, en général, des personnes qui se plaisent dans une société polie, chacun devinerait d’abord, quand on ne l’aurait pas dit, que la chose se passe à Leipzig. Chaque université allemande a sa physionomie particulière. Aucune culture générale ne pouvant s’établir dans notre patrie, chaque province persiste dans ses habitudes, et pousse à l’extrême les singularités qui la caractérisent : il en est de même des universités. À Iéna et à Halle, la rudesse des mœurs était arrivée au plus haut point. La force