Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/241

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habitudes de cet homme. Il était fort bien logé, au premier étage de l’Ours d’or, où Breitkopf l’aîné, en reconnaissance des grands bénéfices que les écrits de Gottsched, ses traductions et ses autres services avaient procurés à sa maison, lui avait donné un logement pour la vie.

Nous nous fîmes annoncer. Le domestique nous introduisit dans une grande chambre, en nous disant que monsieur allait venir. N’entendîmes-nous pas bien un geste qu’il fit, je ne saurais le dire ; bref, nous crûmes qu’il nous avait fait signe de passer dans la chambre attenante. Nous entrâmes pour être témoins d’une singulière scène ; car, à l’instant même, Gottsched parut à la porte vis-à-vis. C’était un homme grand et fort, un géant, en robe de chambre de damas vert doublé de taffetas rouge. Mais sa tête énorme était chauve et sans coiffure. On allait y pourvoira l’instant, car le domestique, arrivant par une porte dérobée, portait sur le poing une grande perruque à allonges, dont les boucles lui tombaient jusqu’aux coudes, et il présenta d’un air effrayé la coiffure à son maître. Gottsched, sans laisser voir le moindre chagrin, enleva de la main gauche la perruque du bras de son serviteur, et, en même temps qu’il la jetait très-adroitement sur son chef, il appliqua de la main droite un soufflet au pauvre homme, qui s’en alla, comme dans les comédies, en pirouettant jusqu’à la porte : sur quoi le respectable patriarche nous obligea fort gravement de nous asseoir, et nous fit avec beaucoup de dignité un assez long discours.

Tant que Schlosser resta à Leipzig, je mangeai avec lui, et je fis la connaissance de convives très-agréables. Quelques Livoniens et le fils de Hermann, premier prédicateur de la cour de Dresde, plus tard bourgmestre de Leipzig, avec son gouverneur Pfeil, conseiller aulique, auteur du Comte de P., qui se présente comme en regard de la Comtesse suédoise de Gellert, Zacharie, frère du poète, et Krebel, auteur de manuels de géographie et de généalogie, étaient des hommes polis, d’humeur joyeuse et bienveillante. Zacharie était le plus taciturne, Pfeil était un homme fin, avec quelque chose du diplomate, mais sans affectation, et d’une grande bonté ; Krebel, un vrai Falstaff, grand, corpulent, blond, les yeux bleu de ciel, riants, proéminents, toujours