Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/243

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duelle défectueuse qu’à celle qui est produite ou corrigée selon une règle générale du goût. La rhythmique était encore au berceau, et personne ne savait un moyen d’en abréger l’enfance. La prose poétique dominait. Gessner et KIopstock suscitèrent de nombreux imitateurs. D’autres demandèrent que les syllabes fussent mesurées, et traduisirent cette prose en rhythmes saisissables. Mais, en cela, ils ne furent non plus agréables à personne ; car ils devaient omettre et ajouter, et l’original en prose était toujours préféré. Au reste, plus on cherche en tout la concision, plus l’appréciation est possible, parce que’ce qui marque, une fois qu’il est resserré, permet enfin une comparaison sûre. Il arriva en même temps que plusieurs sortes de formes vraiment poétiques prirent naissance, car, en cherchant à n’exprimer que le nécessaire de chaque objet qu’on voulait reproduire, il fallait tenir compte de chacun et, de la sorte, quoique personne n’eût conscience de ce qu’il faisait, les formes d’exposition se diversifièrent ; il est vrai que, dans le nombre, il y en eut de grimaçantes, et l’on vit plus d’un essai malheureux.

De tous ces hommes, c’était, sans contredit, Wieland qui avait le plus beau génie. Il s’était formé de bonne heure dans ces régions idéales où la jeunesse s’arrête si volontiers ; mais, comme il en fut dégoûté par ce qu’on nomme expérience, par ses rapports avec le monde et les femmes, il se jeta du côté du réel et trouva son plaisir et le nôtre dans la lutte des deux mondes, où son talent se montra sous son plus beau jour, dans de légères escarmouches, entre le sérieux et le badinage. Combien de ses productions brillantes datent de l’époque où j’étais à l’université ! C’est Musarion qui produisit sur moi le plus grand effet, et je me souviens encore de la place où j’en pus lire les premières feuilles, que Œser m’avait prêtées. C’est là que je crus revoir l’antiquité vivante et nouvelle. Tout ce qu’il y a de plastique dans le génie de Wieland se montrait ici parfaitement, et, puisque ce maudit Phanias-Timon, condamné à une malheureuse abstinence, finit par se réconcilier avec sa maîtresse et avec le monde, on peut bien aussi traverser avec lui l’âge de la misanthropie. Au reste, on pardonnait très-volontiers, dans ces ouvrages, une antipathie badine pour les sentiments élevés, dont on fait aisément une fausse application à la vie et qui en deviennent souvent suspects d’exaltation. On excusait d’autant mieux l’auteur, lorsqu’il poursuivait de ses railleries les choses que l’on tenait pour vraies et respectables, qu’il faisait ainsi paraître combien elles lui donnaient à lui-même d’occupation. On peut voir, par les premiers volumes de la Bibliothèque générale allemande, le pauvre accueil que la critique faisait alors à de pareils travaux. On fait une mention honorable des Contes comiques, mais sans aucune trace de vues sur le caractère de ce genre de poésie. Comme le faisaient alors tous les autres, le critique avait formé son goût sur les exemples. Il ne songe pas qu’avant tout, pour juger ces ouvrages parodiques, il faut avoir devant les yeux l’original, noble et beau, pour voir si le parodiste a su réellement y saisir un côté faible et comique, s’il lui a emprunté quelque chose, ou si peut-être, sous l’apparence d’une imitation, il n’a pas lui-même produit une invention excellente. De tout cela, on ne soupçonne rien ; on loue et l’on blâme quelques endroits du poëme. Le critique avoue