Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/251

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l’importance du sujet et à la concision de la forme, sans pouvoir toutefois m’apprendre clairement où je devais chercher l’un et comment j’atteindrais à l’autre. Ma situation bornée, l’indifférence de mes camarades, la réserve des maîtres, l’isolement des personnes cultivées, une nature insignifiante, me forçaient de chercher tout en moi-même. Si donc je demandais pour mes poésies un fonds réel, des sentiments ou des réflexions, il me fallait descendre dans mon cœur ; si je cherchais pour l’exposition poétique une vision immédiate de l’objet, de l’événement, je ne devais pas sortir de la sphère qui était faite pour me toucher, pour m’inspirer de l’intérêt. Dans cet esprit, j’écrivis d’abord quelques petites poésies en forme de chansons (Lieder) ou en vers rhythmiques ; elles naissent de la réflexion, elles roulent sur le passé, et prennent le plus souvent un tour épigrammatique.

C’est ainsi que je commençai à suivre cette direction dont je ne pus jamais m’écarter dans la suite, savoir celle de transformer en tableaux, en poèmes, tous les sujets de mes joies, de mes peines ou de mes préoccupations, et de me mettre en régie là-dessus avec moi-même, soit afin de rectifier mes idées sur les objets extérieurs, soit pour me mettre l’esprit en repos a ce sujet. Ce don n’était plus nécessaire à personne qu’à moi qui, par nature, étais jeté sans cesse d’un extrême dans un autre. Ainsi donc, tout ce que j’ai publié ne sont que des fragments d’une grande confession, et ces Mémoires ne sont qu’une tentative hasardée pour la compléter.

Mon premier amour pour Marguerite s’était donc reporté sur Annette, dont je ne saurais dire autre chose, sinon qu’elle était jeune, jolie, gaie, aimable et si gentille, qu’elle méritait bien qu’on l’établît dans le sanctuaire du cœur comme une petite sainte, pour lui vouer tous ces hommages qu’il est souvent plus charmant et plus doux d’offrir que de recevoir. Je la voyais tous les jours sans obstacles ; elle aidait à préparer les aliments que je mangeais ; elle m’apportait du moins, le soir, le vin que je buvais, et la société particulière qui dînait dans cette auberge était une garantie que la petite maison, peu fréquentée hors du temps des foires, méritait bien sa bonne réputation. Les occasions et le goût de nous entretenir ne