Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/253

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n’avais pas trouvé dans mon talent de poète une ressource éminemment salutaire.

Déjà auparavant, j’avais senti assez clairement, dans quelques intervalles, mes mauvais procédés ; la pauvre enfant me faisait réellement pitié quand je l’avais ainsi offensée sans aucune nécessité. Je me représentai si souvent et avec tant de détails sa position et la mienne, et, en contraste, l’heureux état d’un autre couple de notre société, que je fus à la fin entraîné à traiter d’une manière dramatique cette situation, et ce me fut une pénitence à la fois instructive et douloureuse. Ainsi prit naissance la plus ancienne de mes œuvres dramatiques qui se soit conservée, la petite pièce intitulée le Caprice de l’Amant, qui, sous un caractère naïf, laisse apercevoir l’entraînement d’une passion brûlante.

Mais, avant ce temps, j’avais déjà pris intérêt à un monde mystérieux, grave et souffrant. Ma liaison avec Marguerite, les conséquences qu’elle avait eues, me firent jeter de bonne heure un regard dans les tortueux souterrains qui minent la société civile. Religion, mœurs, lois, conditions, relations, coutumes, tout cela règne seulement à la surface de la vie d’une cité. Les rues, bordées de maisons superbes, sont proprement tenues, et chacun s’y comporte décemment ; mais, au dedans, le désordre n’en est bien souvent que plus affreux, et un extérieur poli recouvre, comme une mince crépissure, plus d’une muraille pourrie, qui s’écroule pendant la nuit, et produit un effet d’autant plus horrible, qu’il éclate au milieu d’un état paisible. Combien de familles n’avais-je pas déjà vues, auprès et au loin, précipitées dans la ruine, ou soutenues à grand’peine au bord du gouffre, à la suite de banqueroutes, de divorces, de séductions, de meurtres, de vols domestiques, d’empoisonnements ! Et tout jeune que j’étais, j’avais souvent prêté, dans ces circonstances, une main secourable et salutaire. En effet, comme ma franchise éveillait la confiance, que ma discrétion était éprouvée, que mon activité ne craignait aucun sacrifice, et qu’elle aimait surtout à s’exercer dans les cas les plus dangereux, je trouvai assez souvent l’occasion de m’interposer, d’étouffer les choses, de détourner la foudre, enfin de rendre tous les services possible. Cela ne pouvait manquer de me conduire à faire sur