Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/275

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je veux dire, un de ces rêveurs pour qui la vie s’écoule dans une activité facile. Ses amis eux-mêmes s’avouaient tout bas qu’avec un très-beau naturel, il n’avait pas assez travaillé dans sa jeunesse, en sorte qu’il n’était jamais parvenu à exercer son art avec une habileté parfaite. Cependant une certaine application semblait réservée à son âge avancé, et, pendant bien des années que je l’ai connu, je ne l’ai jamais vu manquer d’invention et d’assiduité. Il m’avait captivé dès le premier moment. Sa demeure singulière et mystérieuse avait déjà pour moi un charme infini. Dans le vieux château de Pleissenbourg, à droite, au coin du bâtiment, on montait un gracieux escalier tournant restauré. Ensuite on trouvait à gauche les salles claires et spacieuses de l’Académie de dessin, dont il était directeur ; mais on n’arrivait chez lui que par un corridor étroit et sombre, à l’extrémité duquel on cherchait enfin l’entrée de ses chambres, rangées à la file vis-à-vis d’un vaste grenier à blé. La première pièce était ornée de tableaux de la dernière école italienne, de maîtres dont il appréciait beaucoup la grâce. Comme j’avais pris de lui des leçons particulières avec quelques jeunes gentilshommes, il nous était permis de dessiner dans cette salle, et nous parvenions aussi quelquefois dans son cabinet, qui y touchait et qui renfermait le peu de livres qu’il possédât, ses collections d’objets d’art et naturels, et tout ce qui pouvait l’intéresser le plus. Tout était rangé avec goût, simplement et de telle sorte que ce petit espace contenait beaucoup de choses, meubles, armoires, portefeuilles, élégamment et sans affectation ni surabondance. Aussi la première chose qu’il nous recommandait, et sur laquelle il revenait sans cesse, c’était la simplicité, dans tout ce que les arts et les métiers réunis sont appelés à produire. Comme ennemi déclaré du prétentieux et du contourné, et, en général, du baroque, il nous montrait de ces vieux modèles dessinés et gravés sur cuivre, en contraste avec des ornements mieux entendus et des formes plus simples de meubles et d’autres décorations des appartements ; et comme, autour de lui, tout s’accordait avec ces maximes, les paroles et les leçons du maître faisaient sur nous une heureuse et durable impression. Il avait d’ailleurs d’autres occasions de nous exposer ses sentiments d’une manière pratique, car, étant