Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/288

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leries : cependant un homme qui s’estime heureux, et qui demande aux autres de faire comme lui, nous mécontente, et, à force de reproduire ces sentiments, il nous donne de l’ennui. Je me trouvais, il est vrai, occupé, intéressé, animé, mais non pas heureux, et les souliers faits sur sa mesure n’allaient pas à mon pied. Nous nous séparâmes pourtant fort bons amis, et, quand je pris congé, mon hôtesse ne fut pas non plus mécontente de moi.

Peu de temps avant mon départ, il m’arriva encore une chose très-agréable. Par l’entremise de mon jeune étranger, qui voulait se remettre un peu en crédit auprès de moi, je fus présenté au directeur de Hagedorn, qui me montra sa collection avec une grande bonté, et prit un vif plaisir a l’enthousiasme du jeune ami des arts. Il était, comme il sied à un connaisseur, entièrement épris des tableaux qu’il possédait ; aussi trouvait-il rarement chez les étrangers la sympathie qu’il désirait. Il fut surtout charmé de me voir admirer outre mesure un tableau de Schwanefeld, en relever chaque détail, sans me lasser d’en faire l’éloge : c’est que les paysages qiii me rappelaient le beau ciel serein sous lequel j’avais grandi, la riche végétation de ces contrées, et toutes les faveurs qu’un climat plus chaud dispense aux hommes, me touchaient davantage dans l’imitation, parce qu’elle éveillait chez moi un langoureux souvenir.

Cependant ces précieuses études, qui préparaient l’esprit et les sens à l’art véritable, furent interrompues et amorties par un affreux spectacle, c’était l’aspect désolé et dévasté de maintes rues de Dresde où je devais passer. La Mohrenstrasse, en ruine, ainsi que l’église de la Croix, avec sa tour lézardée, me firent une impression profonde, et c’est encore aujourd’hui comme une tache sombre dans mon imagination. Je vis de la coupole de Notre-Dame ces déplorables ruines entremêlées à l’a belle ordonnance de la ville. Le marguillier me vantait l’habileté de l’architecte, qui avait prévu un cas si funeste en construisant l’église et la coupole, et les avait bâties à l’épreuve de la bombe. Le bonhomme me montrait ensuite les ruines de toutes parts, et disait avec un laconisme significatif : « Voilà l’ouvrage de l’ennemi ! »

Je retournai enfin à Leipzig, et ce ne fut pas sans regret. Je