Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/302

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Confessions d’une belle âme, qu’on trouve insérées dans Wllhelm Meister. Elle était d’une taille svelte, de grandeur moyenne ; ses manières cordiales et naturelles avaient pris dans la vie du monde et de la cour une grâce particulière. Sa mise, très-soignée, rappelait le costume des sœurs hernutes. La sérénité et le repos de l’âme ne la quittaient jamais. Elle considérait sa maladie comme un élément nécessaire de sa passagère existence terrestre ; elle souffrait avec la plus grande patience, et, dans les intervalles, elle était vive et causante. Sa conversation favorite, ou même unique, roulait sur les expériences morales que l’homme qui s’observe peut faire sur lui-même. A cela se joignaient les sentiments religieux, qu’elle considérait, comme naturels et surnaturels, d’une manière très-agréable et même ingénieuse. Ces mots peuvent suffire pour rappeler aux amis de pareils tableaux la peinture détaillée que j’ai faite de son âme[1]. La marche toute particulière qu’elle avait suivie dès son enfance, sa naissance, son éducation relevée, la vivacité et l’originalité de son esprit, la tenaient assez éloignée des autres dames qui cherchaient le salut dans la même voie. Mme Griesbach, la plus distinguée, semblait trop sévère, trop sèche, trop instruite ; elle savait, elle pensait, elle embrassait plus que les autres, qui se contentaient de développer leurs sentiments, et elle leur était à charge, parce que chacune ne pouvait pas, ne voulait pas, mener avec soi un si grand équipage sur le chemin de la béatitude. Mais aussi la plupart devinrent, il faut le dire, un peu monotones, en ce qu’elles s’attachèrent à une certaine terminologie, qu’on aurait pu comparer à celle des Sentimentaux, qui vinrent plus tard. Mlle de Klettenberg suivit sa voie entre les deux extrêmes, et semblait se mirer avec quelque complaisance dans l’image du comte de Zinzendorf, dont les sentiments et les actes attestaient une haute naissance et une position distinguée. Or elle trouva en moi ce qu’elle demandait, une nature jeune et vive, qui aspirait comme elle à une félicité inconnue ; qui, sans pouvoir se regarder comme extraordinairement coupable, ne se trouvait point dans un état heureux, et n’avait ni la

  1. Voyez t. VI, p. 343.