Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/310

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bres et des espaces, ce qui faisait un contraste assez choquant avec les figures vaguement indiquées. Par là, mon père croyait m’obliger toujours plus à l’exactitude, et, pour lui être agréable, je dessinai quelques scènes d’intérieur, dans lesquelles, ayant la réalité pour modèle, je pouvais travailler d’une manière plus précise et plus décidée. Enfin la gravure me revint aussi à la pensée. J’avais composé un paysage assez intéressant, et je me sentis fort heureux quand je pus remettre au jour les procédés que Stock m’avait communiqués, en me rappelant pendant mon travail ces heureux temps. J’eus bientôt gravé la planche et j’en fis tirer des épreuves. Par malheur, la composition était sans lumières et sans ombres, et je pris beaucoup de peine pour lui donner l’un et l’autre ; mais, comme je ne voyais pas clairement à quoi tenait le défaut, je ne pus y remédier.

Je me portais alors très-bien pour mon état, mais il me survint un mal que je n’avais pas encore éprouvé ; c’était une irritation de la gorge et surtout une violente inflammation de la luette ; la déglutition était très-douloureuse et les médecins ne savaient à quel remède recourir. Les gargarismes et le pinceau m’excédaient sans me tirer de ce fâcheux état. Enfin l’idée me vint que j’avais manqué de précautions en gravant à l’eau-forte ; qu’en m’appliquant souvent et avec ardeur à cette opération, je m’étais attiré ce mal, je l’avais nourri et augmenté. Les médecins jugèrent la chose plausible et bientôt certaine, car, ayant renoncé à la gravure (d’autant plus que mes essais n’avaient point réussi et que j’avais plutôt lieu de cacher mon travail que de le produire), je me consolai sans peine, quand je me vis promptement délivré de mon mal. Cependant il me fallut reconnaître que ces mêmes occupations, auxquelles je m’étais livré à Leipzig, avaient bien pu contribuer à ces maux, dont j’avais tant souffert. Assurément c’est une chose ennuyeuse, et triste quelquefois, de trop nous observer nous-mêmes, d’étudier trop ce qui nous est nuisible ou utile ; mais, certes, si l’on considère, d’une part, la singulière idiosyncrasie de la nature humaine, et, de l’autre, l’infinie diversité des genres de vie et des jouissances, on peut trouver merveilleux encore que notre espèce ne se soit pas dès longtemps anéantie. Il semble que la