Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/313

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produire encore un être qui leur fût complètement égal. Toutefois, comme l’impulsion productrice continuait toujours, ils créèrent un quatrième être, mais qui portait déjà en lui une contradiction, car il devait être absolu comme eux, et en même temps contenu en eux et limité par eux : c’était Lucifer, à qui toute la puissance créatrice était désormais transmise, et duquel toute autre essence devait découler. Il manifesta aussitôt son activité infinie, en créant tous les anges à la fois, tous aussi à son image, absolus, mais contenus en lui et limités par lui. Environné d’une pareille gloire, il oublia sa haute origine, il crut la trouver en lui-même, et de cette première ingratitude résulta tout ce qui nous semble ne pas s’accorder avec la pensée et les vues de la divinité. Plus il se concentrait en lui-même, plus il devait se trouver mal à son aise, comme tous les esprits dont il gênait la douce élévation vers leur origine. Ainsi arriva ce qui nous est présenté sous la forme de la chute des anges. Une partie d’entre eux se concentra avec Lucifer, l’autre se tourna de nouveau vers son origine. De cette concentration de la création entière (car elle était issue de Lucifer, et elle dut le suivre) résulta tout ce qui s’offre à nous sous la forme de la matière, ce que nous concevons comme pesant, solide et ténébreux, mais qui, provenant, sinon d’une manière directe, du moins par filiation, de l’essence divine, est aussi absolument puissant et éternel que le père et les aïeux. Or, comme tout le mal, si nous osons l’appeler ainsi, avait pour cause unique la direction exclusive de Lucifer, cette création manquait de sa meilleure moitié, car elle avait tout ce que donne la concentration, mais elle manquait de ce que l’expansion peut seule produire. La création tout entière aurait donc pu se détruire elle-même par une concentration incessante, s’anéantir avec Lucifer, son père, et perdre tous ses droits à être coéternelle avec la divinité. Les Élohim observèrent quelque temps cet état de choses ; ils avaient le choix d’attendre les siècles dans lesquels le champ aurait été libre de nouveau et l’espace vacant pour une création nouvelle, ou d’agir sur le présent, et de remédier à ses imperfections selon leur puissance infinie. Ils choisirent le dernier parti, et, par leur seule volonté, ils suppléèrent en un moment à toutes les imperfections que le succès de l’entreprise de Lucifer avait en-