Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/318

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pour cette fois l’idée confuse en montant bien vite à la tour, afin de ne pas laisser échapper le moment favorable d’un soleil haut et clair, qui allait me découvrir tout ce vaste et riche pays. Et je vis donc de la plate-forme la belle contrée dans laquelle j’allais séjourner et vivre quelque temps, la ville remarquable, les prairies d’alentour, plantées et entremêlées d’arbres magnifiques, au feuillage épais, cette richesse étonnante de la végétation, qui, suivant le cours du Rhin, dessine les rives et les îles. Une verdure non moins variée habille les plaines qui descendent du sud, et que l’Ill arrose ; même à l’ouest, jusqu’aux montagnes, se trouvent plusieurs enfoncements qui présentent un aspect aussi ravissant de bois et de prairies ; tandis que le côté du nord, plus inégal, est coupé d’innombrables petits ruisseaux, qui favorisent partout une prompte végétation. Si l’on se représente maintenant entre ces vastes et riches herbages, entre ces bois agréablement dispersés, tout ce pays, si fertile, parfaitement cultivé, verdoyant et mûrissant, les endroits les meilleurs et les plus riches marqués par des villages et des métairies, et cette grande plaine, à perte de vue, qui semble un nouveau paradis préparé pour les humains, bornée auprès et au loin par des montagnes, les unes cultivées, les autres boisées ; on comprendra le ravissement avec lequel je bénissais le sort qui m’avait assigné pour quelque temps une si belle résidence.

Un premier coup d’œil ainsi jeté sur un pays nouveau dans lequel nous devons faire un long séjour, a d’ailleurs ceci d’agréable et de mystérieux, que l’ensemble se présente à nous comme une table rase ; aucunes peines, aucuns plaisirs, qui nous soient particuliers, n’y sont gravés encore ; cette plaine riante, bigarrée, animée, est encore muette pour nous ; l’œil ne s’attache aux objets qu’autant qu’ils sont remarquables en eux-mêmes ; l’inclination, la passion, n’ont pas encore à signaler telle ou telle place ; mais déjà un pressentiment de ce qui viendra inquiète le jeune cœur, et une ardeur inapaisée appelle en secret ce qui peut, ce qui doit venir, et qui, heureux ou malheureux, prendra toujours insensiblement le caractère de la contrée où nous sommes.

Descendu de la tour, je m’arrêtai quelque temps encore en face