Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/349

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l’une, la pitié m’appelait vers l’autre : ma situation était assez pénible. « Consolez Lucinde, me dit la cadette ; suivez-la. » Je balançais : comment la consoler, sans l’assurer du moins de quelque tendresse ? Et pouvais-je le faire avec froideur et mesure dans un pareil moment ? « Allons ensemble, dis-je à Émilie. — Je ne sais, répliqua-t-elle, si ma présence lui fera du bien. » Nous allâmes pourtant, mais nous trouvâmes la porte fermée au verrou. Nous eûmes beau heurter, appeler, supplier, Lucinde ne répondait pas. « Laissons-la en repos, dit Émilie, c’est ce qu’elle veut maintenant. » Et en me rappelant ses manières, dès le premier jour de notre connaissance, je me souvins qu’elle avait quelque chose de violent et d’inégal, et son amour pour moi paraissait surtout en ce qu’elle m’épargnait sa mauvaise humeur. Que pouvais-je résoudre ? Je payai généreusement la vieille pour le mal qu’elle avait fait, et je voulais sortir, quand Émilie me dit : « Je demande que l’on tire aussi les cartes pour vous. » La vieille était prête. « Souffrez que je n’en sois pas ! » m’écriai-je, et je dégringolai l’escalier.

Le lendemain, je n’eus pas le courage de retourner. Le troisième jour, Émilie m’envoya un petit garçon, qui m’avait déjà t’ait plus d’un message de la part des sœurs, et qui leur avait porté de la mienne des fleurs et des fruits. Elle me faisait dire en toute hâte de ne pas manquer ma leçon ce jour-là. J’arrivai à l’heure ordinaire, et je trouvai le père seul. Il corrigea bien des choses encore à mon pas et ma démarche, à mes entrées et mes sorties, à ma tenue et mes gestes, et il sembla du reste satisfait de moi. La sœur cadette parut à la fin de la leçon, et dansa avec moi un très-gracieux menuet, où elle eut des mouvements d’un charme extraordinaire ; et le père assura qu’il avait vu rarement sur son plancher un couple plus joli et plus leste. Après la leçon, nous passâmes au salon comme à l’ordinaire. Le père nous laissa seuls ; mais Lucinde ne paraissait pas. « Elle est au lit, dit Émilie, et j’en suis bien aise. Soyez sans inquiétude. Sa souffrance morale s’apaise plus vite, quand elle se croit malade de corps. Comme elle n’a pas envie de mourir, elle fait alors ce que nous voulons. Nous avons certains remèdes usuels ; elle les prend et puis elle repose, et ainsi se calment insensiblement les flots tumultueux. Elle