Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/368

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de bonnes lunettes d’approche, et chacun à son tour signalait exactement la place qui lui était devenue la plus précieuse et la plus chère. Déjà je ne manquais pas non plus d’une petite place de ce genre, qui, sans marquer dans le paysage, m’attirait plus que toute autre avec une douce magie. Dans ces occasions, l’imagination était enflammée par le récit, et l’on concertait maintes courses, souvent même on les entreprenait sur-le-champ. Je me bornerai à en raconter une, qui eut pour moi, sous plusieurs rapports, de grandes conséquences.

Avec deux de nos convives, mes bons amis Engelbach et Weyland, tous deux enfants de la basse Alsace, je me rendis à cheval à Saverne, et, par le temps qu’il faisait, cette gracieuse petite ville nous sourit très-agréablement. Nous admirâmes l’aspect du château épiscopal ; l’étendue, la grandeur et le luxe d’une nouvelle écurie attestaient la richesse du possesseur ; la magnificence de l’escalier nous surprit ; nous parcourûmes les chambres elles salles avec respect ; mais la personne du cardinal faisait contraste : c’était un petit homme caduc. Nous le vîmes dîner. La vue sur le jardin est superbe, et un canal de trois quarts de lieue, tiré au cordeau dans la direction du centre de l’édifice, donne une haute idée de l’intelligence et du pouvoir des anciens maîtres. Nous nous promenâmes au bord, et nous parcourûmes plusieurs parties de ce domaine, bien situé à l’extrémité de la magnifique plaine d’Alsace, au pied des Vosges.

Après avoir observé avec plaisir cet avant-poste ecclésiastique d’une puissante monarchie, et nous être promenés à loisir dans les environs, nous atteignîmes, le lendemain matin, un monument public, qui ouvre dignement l’entrée d’un grand royaume. Éclairée par les premiers rayons du soleil, s’élevait devant nous la célèbre montée de Saverne, monument d’un prodigieux travail. Une chaussée, assez large pour trois voitures de front, bâtie sur les plus effroyables rochers, serpente, en s’élevant avec une pente si douce qu’elle est sentie à peine. La dureté et le poli de la route, les trottoirs dallés, ménagés de part et d’autre pour les piétons, les rigoles de pierre pour l’écoulement des eaux de la montagne, tout est si proprement, artistement et solidement établi, que le regard en est satisfait. On arrive de la sorte in-