Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/418

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plus saint, de l’arracher à cette situation. Elle était d’une bonté céleste, quand elle pouvait se conduire à sa manière : mais une pareille contrainte la mettait d’abord mal à son aise et pouvait enfin la pousser au désespoir. Je cherchai donc à accélérer ce que la mère et Olivia désiraient et ce qui n’était pas désagréable à Frédérique. Je ne manquai pas de louer sa conduite opposée à celle de sa sœur ; je lui dis combien je me félicitais de la trouver toujours la même, et, dans cet entourage encore, aussi libre que l’oiseau sous la ramée. Elle me répondit avec grâce que j’étais là, et qu’elle ne demandait rien de plus quand j’étais auprès d’elle. Enfin je les vis partir et mon cœur fut bien soulagé, car j’avais partagé les impressions de Frédérique et celles d’Olivia ; je n’éprouvais pas, il est vrai, autant d’angoisses que l’une, mais j’étais loin de me sentir aussi à mon aise que l’autre.

Comme j’étais venu proprement à Strasbourg pour prendre mes degrés, c’était assurément une des irrégularités de ma vie, que je considérasse cette affaire essentielle comme un accessoire. Je m’étais fort aisément délivré du souci de l’examen : il fallait maintenant songer à la thèse, car, en partant de Francfort, j’avais promis a mon père et je m’étais fermement proposé d’en écrire une. C’est le défaut de ceux qui ont des aptitudes diverses et même marquées, de se croire capables de tout, et il faut même que telles soient les dispositions de la jeunesse, pour qu’elle arrive à quelque chose. J’avais acquis une idée générale de la jurisprudence et de tout son ensemble ; je trouvais assez d’intérêt à quelques parties de la science, et, prenant pour modèle le brave Leyser, je croyais pouvoir me tirer d’affaire avec mon petit bon sens. Il se produisait de grands mouvements dans la jurisprudence ; il fallait surtout juger selon l’équité ; tous les droits coutumiers étaient journellement menacés, et une grande révolution était surtout imminente dans le droit criminel. Je sentais bien que, pour remplir cette topique juridique que je m’étais faite, il me manquait infiniment de choses ; je n’avais pas le savoir véritable, et aucune direction intérieure ne me portait vers ces matières. Je manquais aussi d’impulsion extérieure, et même je m’étais vu entraîner vers une tout autre faculté. En général, pour trouver de l’intérêt à une chose,