Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/426

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celui de tout autre étranger. J’avais retenu les expressions, comme l’accentuation, des domestiques, des valets de chambre et des sentinelles, des comédiens jeunes et vieux, des amoureux de théâtre, des paysans et des héros, et cet idiome babylonien se brouilla plus encore par un étrange ingrédient : j’aimais à entendre les prédicateurs français réformés, et je visitais d’autant plus volontiers leurs églises, que cela me permettait, m’imposait même, une promenade à Bockenheiin. Mais cela ne devait pas suffire encore. Devenu un jeune homme, je portai toujours plus mon attention sur l’Allemagne du seizième siècle, et je compris bientôt dans cette inclination les Français de cette grande époque. Montaigne, Amyot, Rabelais, Marot, furent mes amis ; ils excitèrent ma sympathie et mon admiration. Tous ces éléments divers se mêlaient confusément dans mon langage, en sorte qu’il devenait le plus souvent inintelligible pour l’auditeur par l’étrangeté de l’expression, et qu’un Français bien élevé au lieu de me corriger poliment, devait me condamner et me régenter sans façon. Je me trouvais dans la même situation qu’à Leipzig ; seulement, je ne pouvais plus me retrancher dans le droit que ma ville natale avait, aussi bien que d’autres provinces, d’employer ses idiotismes ; ici, sur terre étrangère, je devais me plier à des lois traditionnelles et définitives.

Peut-être encore nous serions-nous résignés, si un mauvais génie ne nous avait pas soufflé à l’oreille que tous les efforts d’un étranger pour parler français resteraient toujours inutiles, car une oreille exercée distinguait fort bien l’Allemand, l’Italien, l’Anglais, sous son masque français ; on pouvait être souffert : on ne serait jamais reçu dans le sein de l’unique Église bien disante. On n’accordait qu’un petit nombre d’exceptions. On nous citait un M. de Grimm ; mais Schœpflin lui-même n’avait pas atteint le sommet. Ils accordaient qu’il avait bien senti de bonne heure la nécessité de s’exprimer parfaitement en français ; ils approuvaient son penchant à communiquer avec tout le monde, et surtout son commerce avec les grands ; ils le louaient même de ce que, sur le théâtre où il se trouvait, il avait cherché à s’approprier la langue nationale, et à faire de lui, autant que possible, un causeur et un orateur français. Mais