Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/437

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Nous nous vîmes rarement ; sa société n’était pas la mienne, mais nous cherchions l’occasion de nous rencontrer, et nous aimions il converser ensemble, parce que nos âges et nos sentiments étaient les mêmes. Il était petit, mais bien fait, une tête mignonne et charmante, à la délicatesse de laquelle répondaient parfaitement de jolis traits un peu émoussés ; des yeux bleus, des cheveux blonds, bief un petit personnage comme j’en ai rencontré de temps en temps parmi les jeunes hommes du Nord ; une démarche douce et comme circonspecte, une parole agréable, sans être tout à fait coulante, et des manières qui, nuancées de réserve et de timidité, convenaient parfaitement à un jeune homme. Il lisait fort bien de petits poëmes, particulièrement les siens ; son écriture était fort courante. Pour exprimer son caractère, je ne trouve que le mot anglais Whimsical, lequel, ainsi qu’on le voit dans le dictionnaire, renferme en une seule idée bien des singularités. Par cela même, personne peut-être n’était plus capable que lui de sentir et d’imiter les écarts et les extravagances du génie de Shakspeare. Sa traduction en est ! a preuve. Il traite son auteur avec une grande liberté ; il n’est rien moins que serre et fidèle ; mais il sait si bien s’ajuster l’équipement ou plutôt la jaquette bouffonne de son modèle, imiter ses gestes d’une manière si humoristique, qu’il ne manqua pas d’obtenir les applaudissements de tout homme qui se plaisait à ces choses.

Les absurdités des Clowns faisaient surtout nos délices et nous trouvions Lenz un homme privilégié de savoir les imiter[1]. Le goût de l’absurde, qui se manifeste librement et sans détour dans la jeunesse, mais qui, plus tard, se dissimule toujours davantage, sans se perdre tout à fait, était parmi nous en pleine fleur, et nous cherchions aussi à fêler notre grand maître par des bouffonneries originales. Puis nous disputions très-sérieusement sur la question de savoir si elles étaient ou n’étaient pas dignes des Clowns, et si elles coulaient de la véritable et pure source des fous, ou s’il ne s’y était point mêlé, contre la convenance et la règle, quelque sens et quelque raison. En général, les idées bizarres pouvaient se répandre sans retenue, et chacun était libre d’y prendre part, depuis que Lessing, qui jouissait d’une si grande confiance, en avait donné le premier signal dans sa dramaturgie.


J’eus le plaisir de faire avec cette joyeuse société plusieurs agréables promenades dans la haute Alsace, mais je n’en rapportai aucune instruction de quelque valeur. Les petites poésies que chaque occasion faisait éclore, en grand nombre, et qui formaient une assez joyeuse description de voyage, se sont toutes perdues. Dans le cloître de l’abbaye de Molsheim, nous admirâmes les peintures sur verre ; dans la fertile contrée entre Colmar et Schelestadt, retentirent des hymnes folâtres à

  1. Nous omettons quelques vers, dont la traduction est impossible à cause des jeux de mots.