Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/439

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une ligne gracieuse et brillante, se mêle aux étoiles, semble même s’arrêter un moment au milieu d’elles, et, descendant ensuite, trace de nouveau le même sillon, mais en sens inverse, et porte enfin la ruine au lieu où elle achève sa course. Frédérique était toujours la même ; elle semblait ne pas penser, ne pas vouloir penser, que cette liaison pût si tôt finir. Olivia, au contraire, qui ne savait pas non plus se passer de-moi sans regret, mais qui perdait cependant moins que sa sœur, fut plus prévoyante ou plus franche. Elle m’entretint quelquefois de mon départ probable, et elle cherchait, pour elle-même et pour sa sœur, des sujets de consolation. Une jeune fille qui renonce à un homme à qui elle n’avait pas caché sa tendresse est loin de se trouver dans la pénible situation d’un jeune homme qui s’est autant avancé dans ses déclarations à l’égard d’une jeune fille. Il joue toujours un fâcheux personnage, car on attend de lui, qui commence à être un homme, une certaine connaissance de sa position, et une légèreté décidée lui sied mal. Les raisons d’une jeune fille qui se retire paraissent toujours valables, celles d’un homme jamais.

Mais comment une passion qui nous flatte nous laisserait-elle prévoir où elle peut nous conduire, puisqu’alors même qu’avec toute notre raison nous y avons déjà renoncé, nous ne pouvons encore nous en affranchir, nous nous livrons avec délice à la douce habitude, lors même que la position est changée ? C’est aussi ce qui m’arriva. La présence de Frédérique m’était douloureuse, et pourtant je ne savais rien de plus agréable que de penser à elle en son absence et de m’entretenir avec elle. J’allais plus rarement la voir, mais notre correspondance n’en était que plus animée. Elle savait me peindre sa situation avec sérénité, ses sentiments avec grâce ; et moi je me représentais ses mérites avec passion, avec tendresse. L’absence me rendait libre, et toute ma flamme prenait une vie jusqu’alors inconnue par ces entretiens à distance. Je pouvais, dans ces moments, m’aveugler tout à fait sur l’avenir ; j’étais assez distrait par le cours du temps et par des affaires pressantes. J’avais fait jusqu’alors mon possible pour répondre aux exigences les plus diverses, en prenant toujours un vif intérêt à ce qui touchait le présent et le moment ; mais, vers la fin, elles se préci-