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enfant, elle avait déjà attrapé sa part de l’argent jeté au peuple dans ces occasions ; et l’on se racontait qu’un jour, comme elle en avait amassé une bonne quantité, et le regardait avec joie sur la paume de sa main, quelqu’un frappa dessus, en sorte que tout son butin bien acquis fut perdu d’un seul coup. Néanmoins elle se rappelait avec complaisance que, l’empereur Charles VII passant en voiture, dans un moment où le peuple gardait le silence, debout sur une borne, elle avait poussé vers le carrosse un éclatant vivat, et obligé l’empereur d’ôter son chapeau devant elle et de la remercier gracieusement pour cet audacieux hommage. Même dans sa maison, tout était animé, joyeux et gaillard autour d’elle, et nous lui avons dû bien des heures de gaieté.

Une autre sœur de ma mère se trouvait dans une situation plus tranquille, mais aussi convenable à son naturel. Elle avait épousé le pasteur Stark, qui avait la paroisse de Sainte-Catherine. Conformément à ses goûts et à son état, il vivait très-retiré, et possédait une belle bibliothèque. C’est là que j’appris à connaître Homère, mais par une traduction en prose, qui se trouve dans la septième partie de la nouvelle collection des voyages les plus remarquables, formée par M. de Loen, sous ce titre : « Description de la conquête du royaume de Troie par Homère. » Elle était ornée de gravures dans le goût du théâtre français. Ces figures me faussèrent tellement l’imagination, que je fus longtemps à ne pouvoir me représenter les héros d’Homère autrement que sous ces images. Les aventures même eurent pour moi un charme indicible ; mais je faisais un grand reproche à l’ouvrage de ce qu’il ne donnait aucun détail sur la conquête de Troie, et finissait si brusquement avec la mort d’Hector. Mon oncle, en présence duquel je faisais cette critique, me renvoya à Virgile, qui satisfit pleinement à ce que je demandais.

Il s’entend de soi-même qu’à côté des autres leçons, nous recevions aussi une instruction religieuse continue et progressive. Mais le protestantisme clérical qu’on nous enseignait n’était proprement qu’une sorte de morale sèche ; on ne songeait point à une exposition spirituelle, et la doctrine ne pouvait satisfaire ni l’esprit ni le cœur. C’est ce qui donna lieu à