Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/440

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pitèrent les unes sur les autres, comme il arrive d’ordinaire lorsqu’on doit changer de séjour.

Un incident qui survint me déroba encore les derniers jours. Je me trouvais, avec une société distinguée, dans une maison de campagne d’où l’on voyait admirablement la façade de la cathédrale et le clocher. « Quel dommage, dit quelqu’un, que l’ouvrage ne soit pas achevé et que nous n’ayons qu’une des tours ! » Je répliquai : « Je ne suis pas moins fâché de voir que cette tour unique ne soit pas terminée, car les quatre tourelles sont beaucoup trop écourtées ; il fallait là encore quatre flèches légères et une plus haute au milieu, à la place de cette lourde croix. » Comme j’avais ainsi parlé avec ma vivacité ordinaire, un petit monsieur, fort éveillé, m’adressa la parole et me demanda qui m’avait dit cela. « La tour elle-même, répondis-je : je l’ai observée si longtemps et si attentivement, et je lui ai voué une si grande affection, qu’elle s’est enfin résolue à m’avouer ce secret manifeste. — Elle ne vous a pas mal informé. Je puis le savoir mieux que personne, car je suis l’administrateur préposé aux bâtiments. Nous avons encore dans nos archives les plans originaux, qui disent la même chose, et je puis vous les montrer. »

Je le priai, vu mon prochain départ, de hâter l’effet de sa complaisance. Il me fit voir les inestimables rouleaux. Je dessinai bien vite, au moyen de papier huilé, les flèches qui manquaient dans l’édifice, et je regrettai de n’avoir pas connu plus tôt ce trésor. Mais c’est là ce qui devait m’arriver toujours ; je devais m’élever péniblement, par la contemplation et la méditation des objets, à une idée qui n’aurait été peut-être ni aussi surprenante ni aussi féconde pour moi, si on me l’avait communiquée.

Au milieu de la presse et des embarras où je me trouvais, je ne pus négliger d’aller voir Frédérique encore une fois. Ce furent de pénibles jours, dont je n’ai pas conservé le souvenir. Lorsque, monté à cheval, je lui tendis encore la main, elle avait les larmes aux yeux, et je soutirais beaucoup. Je suivis le sentier qui mène à Drousenheim, et j’y fus saisi du plus étrange pressentiment. Je me vis, non pas avec les yeux du corps, mais avec ceux de l’esprit, je me vis revenir à cheval par le