Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/456

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mains ; et, tandis que chacun attendait un livre parfaitement usuel, la plupart en reçurent un auquel ils ne pouvaient prendre le moindre goût. La stupéfaction fut générale, toutefois le respect pour l’homme était si grand, qu’on n’entendit aucun murmure ; il s’éleva à peine un léger bourdonnement. La belle jeunesse se consola de sa perte, et donna, en badinant, les exemplaires chèrement payés. J’en reçus moi-même plusieurs de bonnes amies : il ne m’en est resté aucun.

Cette entreprise, heureuse pour l’auteur, malheureuse pour le public, eut cette fâcheuse conséquence, qu’on ne dut pas songer de sitôt aux souscriptions et aux payements anticipés. Mais le vœu s’en était trop généralement répandu pour qu’on n’essayât pas d’y revenir. La librairie de Dessau offrit de faire la chose en granit et au complet. Les lettrés et l’éditeur devaient s’associer pour jouir proportionnellement du bénéfice qu’on pouvait espérer. La gêne pénible, si longtemps éprouvée, éveilla encore ici une grande confiance, qui, du reste, ne se soutint pas longtemps. Après quelques efforts, les intéressés se séparèrent bientôt avec une perte mutuelle.


Cependant une communication rapide s’était déjà établie entre les amis de la littérature ; les Almanachs des Muses réunissaient tous les jeunes poètes ; les journaux, le poète avec les autres écrivains. Mon goût de produire était sans bornes ; à l’égard de ce que j’avais produit, j’étais indifférent : toutefois, quand je le faisais revivre gaiement pour d’autres et pour moi, dans une compagnie, j’y reprenais goût. De nombreux amis s’associaient aussi à mes travaux, grands et petits, parce que, par mes instances, quiconque se sentait un peu de disposition et de facilité a composer était obligé de nous donner, à sa façon, quelque chose qui vînt de lui : et, à leur tour, ils me demandaient tous de nouvelles compositions et de nouvelles poésies.

Ces excitations mutuelles, poussées jusqu’à l’excès, donnèrent à chacun, dans son genre, une joyeuse influence, et, de ce tourbillon et de cette activité, de ce faire et laisser faire, de ces emprunts et de ces largesses, auxquels se livraient aveuglément, librement, sans aucune direction théorique, tant de jeunes gens, chacun selon son caractère naturel, surgit cette fameuse époque littéraire de si glorieux et si fâcheux renom, dans laquelle une foule de jeunes hommes de talent se produisirent avec toute l’ardeur et toute la présomption qui n’appartiennent qu’à cet âge, et, par l’emploi de leurs forces, firent beaucoup de plaisir