Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/457

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et de bien, et, par l’abus, beaucoup de chagrins et de mal ; et l’action et la réaction émanées de cette source sont justement l’objet principal de ce volume.

Mais à quoi des jeunes gens prendront-ils le plus grand intérêt, comment éveilleront-ils l’intérêt parmi leurs égaux, si l’amour ne les anime pas, si les affaires de cœur, de quelque nature qu’elles soient, ne sont pas en eux vivantes ? J’avais à déplorer en secret un amour perdu. Cela me rendait indulgent et doux, et plus agréable à la société que dans l’époque brillante où je n’avais à me reprocher aucun tort, aucun faux pas, et où je m’élançais dans la vie, libre de tout engagement. La réponse de Frédérique à une lettre d’adieux me déchira le cœur. C’était la même main, la même pensée, le même sentiment, qui s’étaient développés pour moi et par moi. Alors seulement, je compris la perte qu’elle faisait, et je ne voyais aucune possibilité de la réparer ni même de l’adoucir. Frédérique m’était toujours présente. Je sentais constamment qu’elle me manquait, et, ce qui était le plus douloureux, je ne pouvais me pardonner mon propre malheur. On m’avait ôté Marguerite, Annette m’avait quitté : ici j’étais coupable pour la première fois ; j’avais blessé profondément le plus noble cœur, et cette époque d’un sombre repentir, auquel se joignait la privation d’un amour accoutumé, délices de ma vie, me fut extrêmement pénible et même insupportable. Mais l’homme veut vivre : je prenais donc aux autres un intérêt sincère ; je cherchais à les tirer de leurs embarras, à rejoindre ce qui voulait se séparer, afin de leur épargner mon sort. C’est pourquoi on avait coutume de m’appeler le confident, et aussi le pèlerin, à cause de mes courses vagabondes dans la contrée. Cet apaisement de mon cœur, je ne le trouvais qu’en plein air, dans les vallées, sur les hauteurs, dans les campagnes et les bois, et je l’avais à ma portée, grâce à la position de Francfort entre Darmstadt et Hombourg, deux séjours agréables, qui étaient en bonne intelligence à cause de la parenté des deux cours. Je m’accoutumai à vivre sur la route, allant et venant, comme un messager, de la montagne à la plaine. Seul ou en compagnie, il m’arrivait souvent de traverser ma ville natale, comme si elle m’eût été étrangère ; je dînais dans une des grandes auberges