Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/485

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universelle, qui embrassait un vaste horizon, lui devaient être peu à peu révélées. C’est ainsi que j’improvisais pour elle la traduction des passages d’Homère auxquels elle pouvait prendre un intérêt particulier. Je lisais de mon mieux, en allemand, la traduction littérale de Clarke ; ma lecture prenait d’ordinaire les formes et les terminaisons métriques, et la vivacité avec laquelle j’avais saisi les images, la force avec laquelle je les exprimais, levaient tous les obstacles d’une construction entrelacée ; ce que l’esprit présentait, elle le suivait avec l’esprit. Nous passions bien des heures dans ces amusements. Quand sa société était réunie, c’était le loup Fenris et le singe Hannemann qu’on demandait d’une voix unanime. Combien de fois n’ai-je pas dû répéter en détail la fameuse histoire de Thor et de ses compagnons, singés par les géants magiques ! Aussi m’est-il resté de toutes ces fictions une impression si agréable, qu’elles sont encore au nombre des plus précieux souvenirs que mon imagination se puisse représenter. J’avais aussi initié ma sœur à mes liaisons avec mes amis de Darmstadt ; mes courses et mes absences devaient même rendre notre liaison plus étroite, car je m’entretenais avec elle par lettres de tout ce qui m’arrivait ; je lui envoyais chaque petit poëme, se fût-il même borné à un point d’exclamation, et je lui faisais voir tout d’abord les lettres que je recevais ainsi que mes réponses. Tout ce mouvement, si vif, s’était arrêté depuis mon départ de Francfort ; il n’y avait pas dans mon séjour à Wetzlar de quoi fournir à un pareil commerce, et puis mon affection pour Charlotte put bien nuire à mes attentions pour ma sœur. Elle se sentit seule, peut-être négligée, et prêta plus aisément l’oreille aux loyales poursuites d’un galant homme, qui, sérieux et concentré, estimable et sûr, lui avait voué, avec passion, une tendresse dont il était d’ailleurs très-avare. Il fallut me résigner et me réjouir du bonheur de mon ami, non sans me dire à moi-même avec confiance, que, si le frère n’avait pas été absent, l’ami n’aurait pas eu un si beau succès. Il importait donc à mon ami et futur beau-frère que je retournasse à la maison, parce que mon entremise permettrait une fréquentation plus libre, qui paraissait extrêmement nécessaire à ce cœur, touché à l’improviste d’une tendre inclination. A son