Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/491

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qu’il avait coutume de badiner sur tout ce qui sortait du cercle de la vie et des affaires, suivant en cela le sentiment de son seigneur et maître, le comte Stadion, ministre de l’électeur de Mayence, qui, certes, n’était pas fait pour donner à la mondanité et à l’indifférence de son élève un contre-poids dans le respect de quelque mystère.

Je rapporterai, en revanche, un trait du grand sens pratique du comte. Lorsqu’il eut pris en amitié le jeune de La Roche, devenu orphelin, et qu’il l’eut adopté pour son élève, il lui demanda tout d’abord les services d’un secrétaire. Il lui donnait des réponses à faire, des dépêches à rédiger, qu’il devait aussi mettre au net, chiffrer assez souvent, sceller et adresser. Cela dura plusieurs années. Quand l’adolescent fut devenu un jeune homme, et fit réellement le service qu’il avait cru faire jusque-là, le comte le mena à un grand bureau dans lequel étaient conservés, comme exercices du premier temps, toutes les lettres et tous les paquets intacts.

Un autre exercice, que le comte avait imposé à son élève, ne trouvera pas une approbation aussi générale. De La Roche avait dû s’exercer à imiter parfaitement la main de son seigneur et maître, pour lui épargner la fatigue d’écrire lui-même. Mais ce n’est pas seulement dans les affaires qu’il lui fallut exercer ce talent : le jeune homme dut aussi tenir la place de son maître dans ses galanteries. Le comte était passionnément épris d’une spirituelle et noble dame. Tandis qu’il veillait auprès d’elle, bien avant dans la nuit, son secrétaire était à la maison, occupé à forger de brûlantes lettres d’amour ; le comte choisissait dans le nombre, et envoyait sur-le-champ la lettre à sa bien-aimée, qui devait être convaincue de l’impérissable flamme d’un adorateur si passionné. On peut croire que ces expériences précoces ne donnèrent pas au jeune de La Roche la meilleure idée des correspondances d’amour.

Cet homme, qui avait servi deux électeurs ecclésiastiques, avait conçu pour les prêtres une haine irréconciliable, née vraisemblablement de ce qu’il avait observé la vie grotesque, rude, grossière, matérielle, que les moines d’Allemagne menaient en divers lieux, arrêtant et détruisant par là toute espèce de culture. Ses Lettres sur le Monachisme firent sensation ; elles furent