Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/493

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rature, l’excellent et le faible, eussent prise sur elle. C’est à ce caractère qu’elle fut redevable de son indépendance jusque dans un âge avancé, malgré les chagrins et même la gêne qu’elle eut à souffrir. Toutefois, pour ne pas être injuste, je dois ajouter que ses deux fils, qui étaient alors des enfants d’une éblouissante beauté, savaient quelquefois obtenir d’elle un regard qui n’était pas celui dont elle usait à l’ordinaire.

Je vivais ainsi depuis quelque temps au milieu d’une société nouvelle et merveilleusement agréable, lorsque Merck arriva avec sa famille. De nouvelles affinités électives en résultèrent sur-le-champ : les deux dames se rapprochèrent, et Merck se trouva, par son instruction et ses voyages, plus de points de contact avec M. de La Roche, qui connaissait le monde elles affaires. Le jeune garçon se joignit à ses pareils, et les filles, dont l’aînée eut bientôt pour moi un attrait particulier, me tombèrent en partage. C’est un sentiment très-agréable que celui d’une passion nouvelle, qui s’éveille en nous avant que l’ancienne soit tout à fait assoupie. C’est ainsi qu’on aime à voir, quand le soleil se couche, la lune se lever au point opposé, et qu’on jouit du double éclat des deux flambeaux célestes. Alors les plaisirs ne manquèrent pas au logis et au dehors : on parcourut la contrée ; sur la rive droite, on monta à Ehrenbreitstein, sur la gauche, à la Chartreuse ; la ville, le pont de la Moselle, le trajet du Rhin, tout procura les divertissements les plus variés. Le château neuf n’était pas encore bâti ; on nous conduisit à la place où il devait s’élever ; on nous fit voir les plans.

Toutefois, au sein même des plaisirs, se développaient les germes d’incompatibilité qui, dans une société cultivée, comme dans une société sans culture, montrent d’ordinaire leurs fâcheux effets. Merck, en même temps froid et inquiet, n’assista pas longtemps à la lecture des lettres sans décocher des traits malins sur les choses dont elles parlaient, comme sur les personnes et leurs relations ; et il me découvrit en secret les choses les plus étranges, qui devaient être proprement cachées là-dessous. Il n’était pas question, il est vrai, de secrets politiques, ni de quelque chose qui présentât un certain enchaînement. Il me signalait ces personnes, qui, sans talents par-