Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/507

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à un seul confident. Il serait peu opportun d’en dire davantage sur la rédaction de cet opuscule, qui a fait tant de bruit, mais je puis ajouter quelques réflexions sur le fond.


Ce dégoût de la vie a ses causes physiques et ses causes morales. Laissons le médecin étudier les premières et le moraliste les secondes, et, dans un sujet si souvent approfondi, ne considérons que le point principal, où ce phénomène se révèle avec le plus de clarté. Tout bien-être dans la vie est fondé sur un retour régulier des objets extérieurs. La succession du jour et de la nuit, des saisons, des fleurs et des fruits et de tout ce qui s’offre à nous de période en période, pour que l’homme puisse et doive en jouir, tels sont les véritables ressorts de la vie terrestre. Plus nous sommes ouverts à ces jouissances, plus nous nous sentons heureux ; mais, si ces phénomènes divers passent et repassent devant nous sans nous intéresser, si nous sommes insensibles à de si nobles avances, alors prend naissance le plus grand mal, la plus grave maladie ; on regarde la vie comme un pénible fardeau. On rapporte d’un Anglais qu’il se pendit pour n’avoir pas à s’habiller et se déshabiller chaque jour. J’ai connu un bonhomme de jardinier, inspecteur d’un grand parc, qui s’écria un jour avec chagrin : « Faudra-t-il donc que je voie toujours ces nuages pluvieux passer du couchant au levant ? » On raconte d’un de nos hommes les plus distingués, qu’il voyait avec ennui le printemps reverdir : il aurait voulu, pour changer, le voir rouge une fois. Ce sont là proprement les symptômes du dégoût de la vie, qu’il n’est pas rare de voir aboutir au suicide, et qui, chez les hommes réfléchis et concentrés en eux-mêmes, a été plus fréquent qu’on ne peut croire.

Mais rien n’occasionne plus ce dégoût que le retour de l’amour. Le premier amour est l’unique, dit-on avec raison. Car, dans le second et par le second, le sens le plus élevé de l’amour est déjà perdu. L’idée de l’éternité et de l’infini, qui l’élève et le porte, est détruite ; il paraît passager comme tout ce qui revient. La séparation du physique et du moral, qui, dans les complications de la vie civilisée, isole la tendresse et le désir, provoque encore ici une exagération, qui ne peut produire aucun bien.

D’ailleurs un jeune homme s’aperçoit bientôt, sinon chez lui-même, du moins chez les autres, que les époques morales alternent aussi bien que les saisons. La faveur des grands, les bonnes grâces des hommes puissants, les encouragements des personnes actives, l’inclination de la multitude, l’amitié des individus, tout change et passe, sans que nous puissions le fixer plus que le soleil, la lune et les étoiles. Et pourtant ces choses ne sont pas de simples phénomènes naturels ; elles nous échappent par notre faute ou par celle d’autrui, par le hasard ou la destinée ; elles changent, et nous ne sommes jamais assurés d’elles.

Toutefois, ce qui tourmente surtout un jeune homme qui a de la sensibilité, c’est l’inévitable retour de nos fautes ; car nous tardons longtemps à reconnaître qu’en cultivant nos vertus, nous cultivons aussi nos défauts. Nos vertus reposent sur nos défauts comme sur leurs racines, et nos dé-