Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/508

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fauts se ramifient en secret avec autant de force et de diversité que nos vertus à la lumière du jour. Or, comme nous exerçons le plus souvent nos vertus avec volonté et conscience, tandis que nous sommes surpris à notre insu par nos défauts, elles nous procurent rarement quelque joie, lundis qu’ils nous causent sans cesse douleur et tourment. C’est ce qui nous rend surtout difficile et presque impossible la connaissance de nous-mêmes. Qu’on se représente avec cela un jeune sang qui bouillonne, une imagination que les objets particuliers enchaînent aisément, puis les alternatives du jour, et l’on trouvera assez naturel un impatient désir de s’affranchir d’une pareille gêne.

Cependant ces sombres réflexions, qui égarent dans l’infini celui qui s’y abandonne, n’auraient pu se développer d’une manière aussi marquée dans les cœurs de la jeunesse allemande, si une cause extérieure ne l’avait excitée et encouragée à ce funeste travail. Ce fut l’œuvre de la littérature et surtout de la poésie anglaise, dont les grands mérites sont accompagnés d’une grave mélancolie, qu’elle communique à quiconque s’occupe d’elle. L’Anglais intelligent se voit dès son enfance entouré d’une société puissante, qui stimule toutes ses forces ; il s’aperçoit lot ou tard que, pour s’accommoder avec elle, il doit rassembler toute son intelligence. Combien de leurs poëtes n’ont-ils pas mené dans leur jeunesse une vie dissolue et tumultueuse, et ne se sont-ils pas crus du bonne heure autorisés à se plaindre de la vanité des choses humaines ! Combien se sont essayés dans les affaires publiques, et, dans le parlement, à la cour, dans le ministère, dans les ambassades, ont joué, soit les premiers rôles, soit des rôles inférieurs ; ont pris une part active aux troubles intérieurs, aux révolutions politiques, et ont fait, sinon par eux-mêmes, du moins par leurs amis et leurs protecteurs, des expériences plus souvent tristes que satisfaisantes ! Combien se sont vus bannis, chassés, emprisonnés, lésés dans leurs biens !

Mais il suffit d’être spectateur de si grands événements pour être porté au sérieux ; et, le sérieux, où peut-il nous conduire qu’à la pensée de la fragilité et de la vanité de toutes les choses terrestres ? L’Allemand aussi est sérieux, et, par conséquent, la poésie anglaise lui convenait parfaitement, et, parce qu’elle émanait d’une condition supérieure, elle lui paraissait imposante. On trouve partout en elle une intelligence grande, forte, éprouvée, un sentiment profond, délicat, une excellente volonté, une action passionnée, les plus nobles qualités qu’on admire chez des hommes intelligents et cultivés ; mais tout cela réuni ne fait pas encore un poêle. La véritable poésie se révèle à ceci, que, par une sérénité intérieure, par un bien-être extérieur, comme un évangile mondain, elle t-ait nous délivrer des fardeaux terrestres qui pèsent sur nous. Comme un aérostat, elle nous élève, avec le lest qui s’attache à nous, dans des régions supérieures, et laisse les confus labyrinthes de la terre se développer devant nous à vol d’oiseau. Les œuvres les plus gaies et les plus sérieuses ont le même but, de modérer la joie aussi bien que la douleur par une heureuse et spirituelle peinture. Que l’on considère dans cet esprit ta plupart des poésies anglaises, le plus souvent morales et didactiques, et l’on verra qu’elles ne témoignent, en général, qu’un sombre