Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/538

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coup meilleur maître d’escrime que moi, novice, j’avais à faire des efforts toujours plus grands à mesure que nous traitions des points plus importants.

Je ne pouvais laisser échapper une occasion si belle de m’instruire ou du moins de m’exercer. Je décidai mon père et mes amis à se charger des affaires les plus indispensables, et je quittai de nouveau Francfort pour accompagner Basedow. Mais combien je fus frappé de la différence, quand je songeais à la grâce expressive de Lavater ! Comme il était pur, il rendait pur son entourage. On devenait virginal à ses côtés, de peur de lui faire entendre quelque chose qui pût le choquer, Basedow, au contraire, beaucoup trop concentré en lui-même, ne pouvait prendre garde à son extérieur. Qu’il fumât sans cesse de mauvais tabac, c’était déjà une chose extrêmement incommode ; de plus, une pipe était à peine achevée, qu’il allumait de l’amadou salement préparé, qui prenait feu très-vite, mais qui avait une affreuse odeur, et qui, dès les premières bouffées, répandait une puanteur insupportable. J’appelais cette préparation l’amadou puant de Basedow, et je voulais l’introduire sous ce nom dans l’histoire naturelle : sur quoi il s’égayait fort à m’expliquer en détail, de manière à provoquer le dégoût, cette odieuse préparation, et mon horreur excitait au plus haut point sa maligne joie. Car c’était un des travers profondément enracinés de cet homme éminent, d’aimer à harceler les gens et à lancer des traits malins aux plus paisibles. Il ne pouvait voir personne en repos ; d’une voix rauque, il provoquait en ricanant, par quelque raillerie ; il embarrassait par une question soudaine, et riait amèrement quand il avait atteint son but, mais il était charmé si l’on était prompt à lui faire quelque réplique.

Il me tardait toujours plus de revoir Lavater. Il parut lui-même très-joyeux à mon arrivée. Il me confia plusieurs de ses dernières expériences, particulièrement ce qui avait rapport aux divers caractères des convives, parmi lesquels il avait su déjà se faire beaucoup d’amis et de partisans. Je retrouvai là moi-même plusieurs anciennes connaissances ; et celles que je n’avais pas vues depuis des années me fournirent la première occasion d’observer ce qu’on tarde longtemps à remarquer dans