Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/552

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revenais toujours à ma noble amie de Klettenberg, dont la présence calmait, du moins pour un moment, mes inclinations et mes passions orageuses, qui prenaient l’essor de toutes parts ; c’était à elle, après ma sœur, que j’aimais le mieux à rendre compte de ces projets. J’aurais bien pu remarquer que de temps en temps sa santé déclinait, mais je me le dissimulais, et cela m’était d’autant plus facile que sa sérénité augmentait avec la maladie. En toilette soignée, assise auprès de la fenêtre, dans son fauteuil, elle écoutait avec bienveillance les récits de mes excursions ainsi que mes lectures. Parfois aussi je faisais pour elle quelques dessins, afin de décrire plus aisément les contrées que j’avais visitées. Un soir, que je m’étais précisément rappelé plusieurs tableaux, elle me parut, au coucher du soleil, comme glorifiée, elle et son entourage, et je ne pus m’empêcher de reproduire, aussi bien que le permettait mon insuffisance, sa personne et l’ameublement de la chambre, dans un tableau, dont un peintre habile, comme Kersting, aurait fait un ouvrage plein de charme. Je l’envoyai à une amie étrangère, avec ces vers, en forme de commentaire et de supplément :

« Vois dans ce miroir magique un rêve charmant et bon : sous les ailes de son Dieu, notre amie souffre et repose.

« Vois comme elle s’est dégagée victorieusement du flot de la vie ; vois devant ses yeux ton image et le Dieu qui souffrit pour vous.

« Éprouve ce que j’ai éprouvé dans cette atmosphère céleste, lorsqu’avec une ardeur impatiente j’ai tracé cette peinture. »

Si, dans ces strophes, comme cela m’arrivait d’ailleurs quelquefois, je me donnais pour un homme du dehors, un étranger, même un païen, elle n’en était pas choquée : au contraire, elle m’assurait qu’elle ne m’en aimait pas moins qu’au temps où je me servais de la terminologie chrétienne, dont l’usage ne m’avait jamais fort bien réussi. Si même je lui lisais des rapports de missionnaires, qu’il lui était toujours fort agréable d’entendre, il était passé en coutume que je pouvais prendre parti pour les peuples contre les missionnaires, et préférer l’ancien état de ces peuples au nouveau. Elle ne cessait pas d’être amicale et douce et sans la moindre inquiétude pour mon salut.