Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/566

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qu’on avait commencés, et, comme on parlait de la littérature du jour et de ses témérités, on en vint tout naturellement à la fameuse pièce : Les dieux, les héros et Wieland, et j’eus d’abord le plaisir d’observer que l’on traitait l’affaire gaiement. Je fus amené à conter l’histoire de cette bouffonnerie, qui avait fait tant de bruit, et je dus avant tout reconnaître qu’en vrais enfants du Haut-Rhin, nous ne connaissions de bornes ni dans nos sympathies ni dans nos antipathies. Notre admiration pour Shakspeare allait jusqu’à l’adoration ; Wieland, au contraire, bizarrement résolu à affaiblir l’intérêt pour les lecteurs et pour lui et à refroidir l’enthousiasme, avait fait, dans les notes ajoutées à sa traduction, beaucoup d’observations critiques sur le grand poète, et cela, dans une forme qui nous blessait extrêmement, et qui diminuait à nos yeux le mérite de son travail ; Wieland, pour qui nous avions, comme poète, une si grande admiration, qui nous avait rendu comme traducteur un si grand service, nous paraissait désormais un critique fantasque, partial et injuste. Ajoutez à cela qu’il se déclarait contre les Grecs, nos idoles, et, par là, redoublait encore notre mécontentement contre lui. C’est une chose assez connue que l’idée des dieux et des héros de la Grèce repose non sur des qualités morales, mais sur des qualités physiques glorifiées, et c’est pourquoi ils offrent à l’artiste de si magnifiques modèles. Or, dans son Alceste, Wieland avait représenté les héros et les demi-dieux à la manière moderne, à quoi l’on n’aurait eu rien à dire, chacun étant libre de transformer les traditions poétiques selon son but et son génie ; mais ses lettres sur cet opéra, insérées dans le Mercure, nous avaient paru relever ce système d’une manière trop partiale, et pécher irrémissiblement contre ces admirables anciens et leur style sublime, en refusant absolument de reconnaître la saine et vigoureuse nature sur laquelle reposent ces productions. A peine notre jeune société se fut-elle entretenue avec passion de ces griefs, qu’un dimanche après-midi, je cédai à ma fureur accoutumée de tout dramatiser, et, animé par une bouteille d’excellent bourgogne, j’écrivis d’un seul jet toute la pièce. Je n’en eus pas plus tôt donné lecture à mes amis, qui l’accueillirent avec enthousiasme, que j’envoyai le manuscrit à Lenz, à Strasbourg. Il n’en parut pas moins en-