Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/572

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grand mérite, si le public ne s’en était pas déjà entretenu, et surtout lorsqu’après sa mort on parla de la malheureuse hypocondrie avec laquelle, il avait tourmenté les autres et lui-même à la fin de sa vie. Car cette dureté même envers ses enfants, était de l’hypocondrie, une folie partielle, un meurtre moral prolongé, qu’il tourna enfin contre lui-même, après avoir sacrifié ses enfants. Mais il faut réfléchir que cet homme, si robuste en apparence, était souffrant dans ses plus belles années, qu’une incurable infirmité tourmentait l’habile médecin. Avec sa réputation, sa gloire, son rang, sa fortune, il mena la plus triste vie, et ceux qui voudront s’en convaincre par les écrits qui nous restent de lui seront portes, non pas à le condamner, mais à le plaindre.

Si l’on attend de moi que je rende un compte exact de l’influence que cet homme éminent a exercée sur moi, il faut que je revienne à des considérations générales sur l’époque. On peut la nommer l’époque « exigeante, » car on exigeait de soi et des autres ce que nul homme encore n’avait donné. Un trait de lumière avait frappé les esprits d’élite, capables de penser et de sentir : observer directement, observer soi-même la nature et établir là-dessus sa conduite, était ce que l’homme pouvait souhaiter de mieux, et ce résultat n’était point difficile à obtenir. L’expérience était donc encore une fois le mot de ralliement universel, et chacun ouvrait les yeux aussi bien qu’il pouvait, mais les médecins avaient plus de sujet que tous les autres d’insister là-dessus et plus d’occasions de s’en occuper. Du sein de l’antiquité, brillait à leurs yeux un astre qui leur offrait l’idéal de tout ce qu’on pouvait désirer. Les écrits qui nous sont parvenus sous le nom d’Hippocrate offraient le modèle de la manière dont l’homme doit observer le monde et communiquer eu qu’il a vu, sans y mêler ses propres idées. Mais nul ne songeait que nous ne pouvons voir comme les Grecs, et que nous ne saurions jamais êtres poëtes, artistes et médecins comme eux. En admettant même qu’on put s’instruire à leur école, on avait fait cependant des expériences infinies, et pas toujours bien pures, et bien souvent les expériences s’étaient modelées sur les opinions. Cela, il fallait aussi le savoir, le distinguer et le passer au crible. Encore une prétention exorbitante ! Il fallait ensuite, observant et agissant en personne, apprendre à connaître par soi-même la saine nature, comme si on l’observait et la mettait en œuvre pour la première fois. C’était le seul moyen de procurer le juste et le vrai. Or, comme on ne peut guère concevoir l’érudition en général sans pédanterie, ni la pratique sans empirisme et sans charlatanisme, il en résultait un violent conflit, parce qu’il fallait séparer l’usage de l’abus, et se débarrasser de la coquille pour arriver au noyau. Mais, ici encore, quand on passait à l’exécution, on voyait que le plus court moyen d’en finir était d’appeler à son aide le génie, qui, pur son pouvoir magique, apaiserait la querelle et satisferait aux exigences. Cependant la raison su mêlait aussi de l’affaire, tout devait être amené à des idées claires et présenté dans une forme logique, afin que tout préjugé fût écarté et toute superstition détruite. Et, comme quelques hommes extraordinaires, tels que Boerhaave et Haller, avaient accompli des travaux incroyables, on pensait être autorisé à exiger plus encore du leurs élèves et successeurs. Le chemin était ou-