Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/586

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Berlin qu’on regardait la contrefaçon comme une chose licite et même plaisante ; mais le vénérable margrave de Bade, honoré pour ses vertus de souverain, l’empereur Joseph, qui justifiait tant d’espérances, favorisaient, l’un son Macklot, l’autre son noble de Trattner, et c’était un point décidé que les droits comme la propriété du génie étaient livrés en proie à l’artisan et au fabricant.

Un jour que nous en faisions nos plaintes à un Badois, qui nous rendait visite, il nous conta le fait suivant : Mme la margrave, qui était une femme active, avait établi une fabrique de papier. Mais la marchandise était devenue si mauvaise qu’on ne pouvait l’écouler nulle part. Là-dessus, le libraire Macklot avait proposé d’imprimer sur ce papier, pour en relever un peu la valeur, les poètes et les prosateurs allemands. On avait accepté des deux mains. Nous déclarâmes ce mauvais propos mensonger, cependant il nous divertit. Le nom de Macklot devint une injure et reçut plus d’une fois des applications fâcheuses. Et c’est ainsi qu’une jeunesse étourdie, souvent réduite à emprunter, tandis que des gens vils s’enrichissaient au moyen de ses talents, se trouvait assez dédommagée par quelques bons mots.

Les enfants et les jeunes gens heureux vivent sans souci dans une sorte d’ivresse, qui se fait surtout reconnaître à ce que ces cœurs innocents et bons remarquent à peine les rapports des personnes au milieu desquelles ils vivent, et savent moins encore les apprécier. Le monde est à leurs yeux comme une matière qu’ils doivent façonner, comme un bien dont ils doivent s’emparer. Tout leur appartient, tout semble soumis à leur volonté : aussi se perdent-ils souvent dans un désordre sauvage. Cependant, chez les meilleurs, cette tendance devient un enthousiasme moral, qui, selon l’occasion, se porte de son propre mouvement vers quelque bien réel ou apparent, mais qui souvent aussi se laisse mener, conduire et séduire. Le jeune homme dont nous nous occupons était dans ce cas, et, si les gens le trouvaient bizarre, un bon nombre se sentaient de l’attrait pour lui. Dès le premier abord, on trouvait une parfaite franchise, une joyeuse sincérité, dans son langage, et une façon d’agir sans calcul et sans gêne. Je vais en citer quelques exemples.

Un violent incendie avait éclaté dans la rue des Juifs, très-