Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/601

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Si un lecteur sérieux jugeait cette vie par trop frivole et légère, je le prierais de considérer que tous ces plaisirs, dont j’ai dû faire un ensemble pour en tracer la peinture, étaient interrompus par des journées et des semaines de privations, par d’autres soins et des occupations, même par l’insupportable ennui. Les hommes et les dames étaient sérieusement occupés, chacun dans sa sphère. Je ne manquais pas non plus de remplir ma tâche, en considération du présent et de l’avenir, et je trouvais encore assez de temps pour obéir aux inspirations irrésistibles du talent poétique et de l’amour. Je donnais à la poésie les premières heures de la matinée ; la suite du jour appartenait aux affaires, qui étaient traitées d’une façon toute particulière. Mon père, jurisconsulte profond et même élégant, soignait lui-même les affaires que lui imposaient soit l’administration de son bien, soit ses liaisons avec de dignes amis ; et, bien que sa qualité de conseiller impérial ne lui permît pas de pratiquer, il était, comme jurisconsulte, à la disposition de plusieurs personnes dont il avait la confiance ; ses écritures étaient signées par un avocat ordinaire, à qui chaque signature valait une rétribution équitable.

Son activité avait encore augmenté depuis que j’étais entré dans les affaires, et je pouvais remarquer qu’il mettait à plus haut prix mon talent de poète que ma pratique, et qu’il faisait tout, afin de me laisser assez de temps pour mes études et mes travaux poétiques. Solide et laborieux, mais lent à concevoir et à exécuter, il étudiait les pièces comme référendaire particulier, puis, quand nous étions réunis, il m’exposait l’affaire, et je l’expédiais avec une si grande facilité, que son cœur paternel en était vivement réjoui : il me dit même un jour que, si je lui étais étranger, il me porterait envie.

Pour faciliter encore ces travaux, nous avions un clerc, dont les manières et le caractère, bien retracés, feraient bonne figure dans un roman. Après avoir bien employé son temps au collège, où il était devenu bon latiniste et avait acquis d’autres précieuses connaissances, il mena à l’université une vie par trop légère, qui interrompit sa carrière ; il se traîna quelque temps dans l’indigence, avec un corps infirme, et ne revint que plus tard à une situation meilleure, au moyen de sa belle écriture