Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/607

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avec tous les dehors de l’affection et de la sympathie. Comme je ne paraissais que pour bien peu de temps, j’aimais à lui rendre quelques services. Tantôt je m’étais chargé d’une affaire grande ou petite, tantôt je venais recevoir une commission. Ce servage est pour un amant la chose la plus agréable du monde, ainsi que les vieux romans de chevalerie savent nous le dire d’une manière obscure mais énergique. Qu’elle régnât sur moi, c’était chose manifeste, et elle pouvait bien se permettre d’en être fière. C’est ici le triomphe du vainqueur et du vaincu ; l’un et l’autre se complaisent dans le même orgueil.

Cette action répétée, mais souvent très-courte, que j’exerçais, n’en était que plus prononcée. Jean-André avait toujours une provision de musique ; j’apportais des nouveautés étrangères ou de ma façon ; c’était une pluie de fleurs poétiques et musicales ; c’était un beau temps ! Il régnait dans notre société une certaine exaltation. Pas un moment de vide. Il n’est pas douteux que cet effet ne fût produit sur nos amis par notre liaison : en effet, quand l’amour et la passion se montrent avec leur hardiesse naturelle, ils encouragent les âmes craintives, qui ne comprennent plus pourquoi elles feraient mystère de leurs droits tout pareils. Aussi voyait-on des liaisons plus ou moins cachées se former désormais sans crainte, et d’autres, qui ne se pouvaient guère avouer, se glissaient doucement de compagnie sous le voile du secret.

Si mes affaires, qui se multipliaient, ne me permettaient pas de passer à la campagne les jours auprès d’elle, les belles soirées offraient l’occasion de prolonger en plein air nos entrevues. C’était une situation dont il est écrit : « Je dors, mais mon cœur veille. » Les heures de clarté et de ténèbres étaient pareilles ; la lumière du jour ne pouvait éclipser la lumière de l’amour, et l’éclat de la passion faisait de la nuit un joursplendide. Voici une aventure que les âmes aimantes accueilleront avec plaisir. Nous avions prolongé assez tard, sous un beau ciel étoile, notre promenade dins la campagne : après l’avoir accompagnée, ainsi que nos autres amis, de porte en porte, et avoir pris enfin congé d’elle, je sentis si peu le sommeil, que je n’hésitai pas à recommencer une promenade. Je suivis la grande route de Francfort, pour m’abandonner à mes pensées et à mes