Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/627

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Emmendingen, où mon beau-frère était grand bailli. Je regardais cette visite à ma sœur comme une véritable épreuve. Je savais qu’elle n’était pas heureuse, sans qu’on pût en accuser ni elle-même ni son mari ni la situation. Cornélie était une nature à part, dont il est difficile de parler. J’essayerai de rassembler ici ce qui peut se communiquer.

Ma sœur était une belle femme, mais les traits de son visage, qui exprimaient assez clairement la bonté, l’esprit, la sympathie, manquaient cependant de grâce et de régularité. Ajoutez que son front élevé, fortement bombé, produisait, grâce à la fâcheuse mode d’écarter les cheveux du visage, je ne sais quelle impression désagréable, tout en annonçant les plus belles facultés morales et intellectuelles. Je puis me dire que, si elle avait pu, suivant la mode actuelle, ombrager de boucles le haut de son visage, habiller de même ses tempes et ses joues, elle se serait trouvée plus à son gré dans son miroir, et sans crainte de déplaire aux autres comme à elle-même. Ajoutez à cela l’inconvénient que sa peau était rarement pure ; fâcheuse disposition, qui, dès son enfance, par une cruelle fatalité, survenait d’ordinaire dans les jours de fête, de bal, de concert et d’autres invitations. Elle avait peu à peu surmonté ces désavantages, tandis que ses autres admirables qualités se développaient de plus en plus : un caractère ferme et difficile à plier, une âme sympathique, ayant besoin de sympathie ; une excellente culture intellectuelle, de belles connaissances, de beaux talents, l’usage familier de quelques langues, une plume habile ; en sorte qu’avec un extérieur avantageux, elle eût été une des femmes les plus recherchées de son temps.

Il faut dire encore, chose singulière, qu’il n’y avait pas en elle une trace de sensualité. Elle avait grandi à mes côtés et souhaité de continuer et de passer sa vie dans cette harmonie fraternelle. Après mon retour de l’université, nous étions restés inséparables ; avec la plus intime confiance, nous mettions en commun nos pensées, nos sentiments, nos fantaisies, toutes nos impressions accidentelles. Quand je me rendis à Wetzlar. la solitude lui parut insupportable ; mon ami Schlosser, qui n’était ni inconnu ni désagréable à la bonne Cornélie, me remplaça. Malheureusement, la tendresse fraternelle se changea