Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/637

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sans pouvoir analyser cette impression selon les règles de l’art. Dans ces occasions, où l’art n’est pas reconnu mais senti, l’esprit et le cœur songent à l’application ; on voudrait posséder le joyau, pour en faire plaisir à quelqu’un. Je demandai la permission de sortir de l’armoire la petite couronne, et, lorsque je l’eus délicatement placée sur ma main et élevée en l’air, je n’eus pas d’autre pensée que celle de pouvoir la poser sur la brillante chevelure de Lili, que je conduirais devant une glace, pour observer son propre contentement et le bonheur qu’elle répandrait autour d’elle. J’ai souvent songé depuis que cette scène, représentée par un peintre habile, parlerait vivement à la pensée et au sentiment. Il serait doux d’être le jeune roi qui s’assurerait de la sorte une épouse et un nouvel empire.

Pour nous montrer au complet les richesses du couvent, on nous conduisit dans un cabinet d’objets d’art, de curiosités et de productions naturelles. Je connaissais peu à cette époque la valeur de ces choses ; la géognosie, science infiniment estimable, mais qui morcelle à la vue de l’esprit l’impression de la belle surface terrestre, ne m’avait pas encore séduit ; une géologie fantastique m’avait bien moins encore embarrassé dans ses labyrinthes : cependant l’ecclésiastique qui nous conduisait m’obligea de donner quelque attention à une petite tête fossile de sanglier, très-estimée, disait-il, des connaisseurs, et bien conservée dans une argile schisteuse bleue ; cette tête, noire comme elle était, est restée gravée dans mon imagination. On l’avait trouvée dans la contrée de Rapperschwyl, contrée de tout temps marécageuse, faite pour recevoir et conserver de pareilles momies, à l’usage de la postérité.

Je fus tout autrement attiré par une gravure de Martin Schœn, encadrée et sous verre, représentant la mort de Marie. Un exemplaire irréprochable peut seul nous donner l’idée du talent d’un pareil maître ; mais alors nous en sommes tellement saisis, comme de toute chose parfaite en son genre, que nous ne saurions échapper au désir de posséder un exemplaire pareil afin de pouvoir renouveler l’impression, quel que soit le temps écoulé depuis. Pourquoi ne pas anticiper et avouer que, plus tard, je n’eus pas de repos avant de m’être procuré une belle épreuve de cette gravure ?