Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/655

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On parlait des parties de plaisir qu’on avait faites sur terre et sur eau, de divers accidents qui avaient eu une joyeuse issue, des bals et des promenades du soir, des prétendants ridicules mystifiés, et de tout ce qui pouvait éveiller un chagrin jaloux dans le cœur de l’amant inconsolable, qui s’était en quelque sorte approprié quelque temps le produit de tant d’années. Toutefois, parmi cette presse et ce mouvement, elle ne négligeait pas son ami, et, quand elle se tournait de son côté, elle savait lui dire en peu de mots les choses les plus tendres, qui semblaient parfaitement appropriées à leur situation mutuelle.

Détournons les yeux de ces angoisses, qui me sont encore presque insupportables dans-le souvenir, et revenons à la poésie, qui répandit sur la situation quelque charme ingénieux et tendre. Le Parc de Lili[1] est à peu près de ce temps-là. Je ne citerai pas ici ce poëme, parce qu’il n’exprime pas ces sentiments délicats, mais qu’il essaye de faire ressortir, avec une vivacité originale, les contrariétés, et de transformer, par la peinture d’un chagrin comique, la résignation en désespoir. La pièce suivante exprime mieux le caractère gracieux de cette infortune, et c’est pourquoi je l’insère dans mon récit :

« Vous passez, douces roses, mon amie ne vous a point portées ; vous fleurissiez, hélas ! pour l’amant sans espoir à qui le chagrin brise le cœur.

« Je me souviens avec tristesse de ces jours, ô mon ange, où tu me tenais dans la chaîne ; où je guettais le premier bouton, et, de bonne heure, je courais à mon jardin.

« Toutes les fleurs, tous les fruits encore, je les portais à tes pieds, et devant tes yeux mon cœur battait d’espérance.

« Vous passez, douces rosés, mon amie ne vous a point portées ; vous fleurissiez, hélas ! pour l’amant sans espoir à qui le chagrin brise le cœur[2]. »

L’opéra D’Ervin et Elmire était né de la délicieuse romance insérée par Goldsmith dans son Vicaire de Wakefield, et qui nous avait charmés dans l’heureux temps où nous ne prévoyions pas qu’un sort assez semblable nous attendait. J’ai déjà cité quel-

  1. Tome I, page 200.
  2. Tome I, page 25.