Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/664

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et, plus par nature, avec une demi-préméditation, que par inclination, même avec étourderie, de rassembler les hommes autour d’elles, ce qui les expose souvent au même danger que l’apprenti Sorcier[1], d’être effrayées du flot des adorateurs. Et cependant il faut finir par faire un choix ; il faut donner à l’un la préférence ; un des rivaux doit emmener chez lui la fiancée. Et combien est fortuit ce qui donne ici au choix une direction, ce qui détermine celle qui choisit ! J’avais renoncé à Lili avec conviction, mais l’amour me rendait cette conviction suspecte. Lili s’était séparée de moi dans le même sentiment, et j’avais entrepris ce beau voyage qui devait me distraire ; mais il produisit justement l’effet opposé. Tant que dura mon absence, je crus à l’éloignement, je ne crus pas à la séparation. Tous les souvenirs, les vœux et les espérances avaient libre carrière. Je revins, et, comme le revoir est le ciel pour ceux qui s’aiment avec joie et liberté, il est pour deux personnes, séparées seulement par des motifs de convenance, un insupportable purgatoire, un vestibule de l’enfer. Quand je me retrouvai dans la société de Lili, je sentis doublement les discordances qui avaient troublé notre liaison ; quand je reparus devant elle, je sentis avec amertume qu’elle était perdue pour moi.

Je résolus donc une seconde fois de prendre la fuite, et rien ne pouvait se rencontrer plus à souhait que le prochain passage du duc et de la duchesse de Weimar, qui allaient arriver de Carlsruhe, et que je devrais suivre à Weimar, en conséquence des invitations anciennes et récentes que j’avais reçues. Leurs Altesses m’avaient toujours témoigné la même faveur et la même confiance, auxquelles j’avais répondu, de mon côté, par la reconnaissance la plus vive. L’attachement que le duc m’avait inspiré dès la première vue, mon respect pour la princesse, que je connaissais dès longtemps, mais de vue seulement, le désir de témoigner en personne quelque amitié à Wieland, qui s’était conduit envers moi d’une manière si généreuse, et de réparer dans le lieu même mes offenses moitié badines, moitié accidentelles, étaient des motifs suffisants, qui auraient séduit et même entraîné un jeune homme sans passion. Mais il

  1. Tome I, page 89.