Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/665

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s’y joignait encore la nécessité de fuir Lili, que ce fût vers le Midi, où les récits journaliers de mon père faisaient briller à ma vue, pour les arts et la nature, le ciel le plus magnifique ; que ce fût vers le Nord, où m’invitait une si remarquable et si excellente société.

Le jeune couple, revenant de Carlsruhe, arriva donc à Francfort. La cour ducale de Meiningen s’y trouvait en même temps et elle me fit également le plus aimable accueil, ainsi que le conseiller intime de Durkheim, qui accompagnait les jeunes princes. Et, pour qu’il ne manquât pas à la circonstance une de ces bizarres aventures de jeunesse, un malentendu me jeta dans un embarras singulier, mais assez gai. Les deux cours logeaient dans le même hôtel. Je fus invité à dîner. J’avais tellement dans l’idée la cour de Weimar, que je ne songeai pas à prendre des informations exactes, n’ayant pas d’ailleurs assez de vanité pour croire que la cour de Meiningen voulût aussi m’honorer de quelque attention. Je me présente en grande tenue à l’hôtel de l’Empereur romain ; je ne trouve personne chez le duc et la duchesse de Weimar, et, comme j’entends dire qu’ils sont chez le duc de Meiningen, je m’y présente et je suis amicalement reçu. Je suppose que c’est une visite avant dîner, ou qu’on dîne peut-être ensemble, et j’attends que l’on sorte. Tout à coup les princes de Weimar et leur suite se mettent en mouvement ; je les suis, mais, au lieu de se rendre dans leurs appartements, ils descendent l’escalier pour monter en voiture, et je me trouve seul dans la rue. Au lieu de demander des informations avec adresse et de chercher une explication, je prends, avec ma résolution habituelle, le chemin de la maison, où je trouvai mes parents au dessert. Mon père secoua la tête, tandis que ma mère cherchait à me dédommager de son mieux. Elle me confia, le soir, que mon père avait dit, après ma sortie, qu’il s’étonnait qu’un homme comme moi, qui n’avait pas reçu un coup de marteau, ne voulût pas voir qu’on ne songeait de ce côté-là qu’à se moquer de moi et à m’humilier. Cela ne m’ébranla point, car j’avais déjà rencontré M. de Durkheim qui, avec sa douceur ordinaire, avec des reproches agréables et badins, m’avait demandé des explications. Alors je m’éveillai de mon rêve. J’eus l’occasion de remercier le duc et la duchesse