Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/124

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La nuit était profonde quand nous arrivâmes à Sébincourt ; toutes les fenêtres étaient éclairées, preuve que toutes les chambres étaient occupées. A chaque porte, les habitants protestaient qu’ils ne pouvaient recevoir de nouveaux hôtes, les hôtes, qu’ils ne pouvaient admettre de compagnons. Mais notre hussard entra sans façon, et, trouvant dans la salle quelques soldats français autour de la cheminée, il les pressa de faire à des seigneurs, qu’il conduisait, une place au coin du feu. Nous entrâmes en même temps. Les soldats fûrent polis et se rangèrent, mais, reprenant bientôt leur singulière posture, ils étendirent vers le feu leurs pieds levés en l’air. Ils faisaient par moments un tour de salle en courant et revenaient à leur première attitude. Alors je pus observer que leur affaire essentielle était de sécher le bas de leurs guêtres. Bientôt je les reconnus : c’étaient ces mêmes soldats que j’avais vus le matin marcher si joliment dans la boue, à côté de notre voiture. Arrivés plus tôt que nous, ils avaient déjà lavé et brossé à la fontaine le bas de leur chaussure, et maintenant ils la séchaient, pour affronter galamment le lendemain une boue nouvelle. Conduite exemplaire, qu’on aurait lieu souvent de se rappeler dans la vie ! Je me souvins à ce sujet de mes chers camarades, qui avaient reçu en murmurant l’ordre de veiller à leur propreté.

Mais il ne suffit pas à l’habile et officieux Liseur de nous avoir . procuré un abri ; il renouvela audacieusement la fiction de midi ; le noble général, le beau-frère du Roi, opéra puissamment et chassa d’une chambre à deux lits toute une troupe d’honnêtes émigrés. En revanche, nous accueillîmes dans la même chambre deux officiers allemands. Moi, je me retirai, devant la porte, dans la dormeuse, dont le timon, tourné cette fois vers l’Allemagne, réveilla chez moi d’étranges pensées, qui furent toutefois bien vite interrompues par le sommeil.

12 octobre 1792.

Ce jour parut encore plus triste que la veille ; les chevaux, accablés de fatigue, étaient tombés plus souvent, et gisaient en plus grand nombre, avec les voitures versées, dans les prés au bord de la route. Par les ouvertures des fourgons fracassés