Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/159

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séparée de l’autre dans l’idée de matière : de là ressortait pour moi la polarité primitive de tous les êtres, laquelle pénètre et vivifie l’infinie variété des phénomènes. Dans la visita que la princesse Gallitzin nous avait faite à Weimar avec Furstenberg et Hemsterhuis, j’avais déjà exposé ces idées ; mais on m’avait invité à finir ces discours, qu’on regardait comme blasphématoires.

On ne peut trouver mauvais qu’une société intime se renferme en elle-même, et c’était ce que faisaient loyalement mes amis de Pempelfort. Ils s’étaient peu occupés de ma Métamorphose des plantes, qui avait paru depuis une année, et, quand j’exposai mes idées morphologiques, si familières qu’elles me fussent, dans le meilleur ordre, et, à ce qu’il me semblait, avec la force de l’évidence, je vis avec chagrin tous les esprits déjà possédés de l’idée fixe que rien ne peut naître que ce qui est déjà. En conséquence, je dus m’entendre dire encore que tout être vivant était sorti d’un œuf, sur quoi je reproduisis, avec un badinage amer, l’ancienne question : « Lequel a existé le premier, de la poule ou de l’œuf ? » La doctrine de l’emboîtement paraissait fort plausible, et l’on trouvait très-édifiant de contempler la nature avec Bonnet.

On avait su quelque chose de mes essais sur l’optique, et je ne me fis pas longtemps prier pour entretenir la compagnie de quelques phénomènes et de quelques expériences, où il ne me fut pas difficile d’avancer des choses toutes nouvelles, car tous les auditeurs, si éclairés qu’ils fussent, s’étaient inculqué la doctrine de la lumière décomposée, et voulaient malheureusement que l’idée vivante à laquelle ils prenaient plaisir fût ramenée à cette hypothèse morte. Cependant je me plus quelque temps à traiter ce sujet, car je n’exposais jamais une matière sans y gagner quelque chose ; d’ordinaire, il me venait en parlant des lumières nouvelles, et, chez moi, le flot du discours était particulièrement favorable à l’invention.

Mais je ne savais procéder que d’une manière didactique et dogmatique ; je n’avais pas le don de la dialectique et de la controverse. Souvent aussi se faisait jour une mauvaise habitude, dont je dois m’accuser : la conversation, dans sa forme ordinaire, m’était souverainement ennuyeuse, car elle ne produi-