Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/160

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sait que des conceptions bornées, individuelles, et j’avais coutume d’animer et de pousser à l’extrême par de violents paradoxes la discussion, ordinairement resserrée en d’étroites limites. La compagnie en était le plus souvent blessée et choquée en plus d’un sens, car souvent, pour atteindre mon but, je devais jouer le rôle du mauvais principe, et les gens, voulant être bons et me trouver bon, ne laissaient pas la chose passer : on ne pouvait l’admettre comme sérieuse, parce qu’elle n’élait pas solide, ni comme plaisante, parce qu’elle était trop dure. Ils finissaient par m’appeler un hypocrite retourné, et faisaient bientôt leur paix avec moi. Cependant je dois avouer que, par cette mauvaise habitude, j’ai éloigné plus d’un ami, et me suis fait plus d’un ennemi.

Au reste j’avais bientôt chassé tous les mauvais esprits, comme avec la baguette magique, quand j’en venais à parler de l’Italie. Là aussi j’étais allé sans préparatifs, sans prévoyance. Les aventures ne manquaient pas ; le pays même, sa beauté, sa grâce, je m’en étais profondément pénétré ; la figure, la couleur, l’ensemble de cette contrée éclairée par le ciel le plus favorable, tout m’était encore présent. Les faibles dessins que j’avais essayé d’en faire avaient aiguisé ma mémoire ; je pouvais décrire les choses comme si je les avais eues devant moi ; mes tableaux se peuplaient, se remplissaient de vie, et chacun était satisfait, quelquefois enchanté, des ces vives peintures.

11 faudrait, pour exprimer parfaitement la grâce du séjour de Pempelfort, donner une idée claire de la résidence où se passaient toutes ces choses. Une maison isolée, spacieuse, dans le voisinage de grands jardins bien cultivés, un paradis en été, un séjour charmant même en hiver. On jouissait de chaque rayon de soleil dans les alentours libres et dégagés. Le soir, et, quand le temps était mauvais, on se retirait volontiers dans les chambres grandes et belles, qui, meublées commodément et sans luxe, offraient une digne scène aux spirituels entretiens. Une grande salle à manger, gaie et commode, suffisante pour une famille nombreuse et des convives qui ne faisaient jamais défaut, invitait à une longue table, toujours bien servie. Là, on trouvait réunis, le maître de la maison, toujours gai et