Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/166

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Quand il lit son apparition en Allemagne, Werther n’éveilla nullement, comme on le lui a reproché, mais seulement il révéla une maladie, une fièvre, qui était cachée dans les jeunes cœurs. Pendant une longue et heureuse paix, une culture esthétique et littéraire s’était admirablement développée sur la terre allemande et dans les limites de la langue nationale ; mais, cette culture ne se rapportant qu’à l’homme intérieur, il s’y joignit bientôt une certaine sentimentalité, dans l’origine et le progrès de laquelle on ne peut méconnaître l’influence d’Yorick Sterne. Lors même que son esprit ne planait pas sur l’Allemagne, il nous communiqua d’une manière d’autant plus vive sa sensibilité. On vit naître une sorte d’ascétisme tendre et passionné, qui devait (l’ironie humoristique de l’Anglais ne nous étant pas donnée) dégénérer en une fâcheuse mélancolie. J’avais cherché à me délivrer de ce mal, et je tachai d’être, selon ma conviction, secourable aux autres ; mais la chose était plus difficile qu’on ne pouvait le penser, car il s’agissait proprement de soutenir chacun contre lui-même, et là il ne pouvait être question de tous les secours que nous offre le monde, connaissances, instruction, occupations ou faveur. v

Ici nous devons passer sous silence bien des forces actives qui concoururent à l’effet, mais, pour notre but, il est nécessaire de mentionner avec détail une autre tendance considérable, qui agissait d’une manière indépendante. La Physiognomonie de Lavater avait donné à l’activité morale et sociale une tout autre direction. Il se sentait en possession de la faculté éminemment spirituelle de signaler l’ensemble des impressions que la physionomie et la figure de l’homme produisent sur chacun, sans qu’on sache s’en rendre compte ; mais comme Lavater n’avait pas le don d’étudier avec méthode une abstrac tion, il s’en tenait aux cas particuliers, à l’individu.

Henri Lips, jeune artiste plein de talent, qui réussissait particulièrement dans le portrait, se joignit à Lavater, et, soit à Zurich, soit dans le voyage du Rhin 1, il ne quitta pas son patron. Toujours affamé d’expériences nouvelles, et voulant accoutumer, associer à ses ouvrages futurs autant d’hommes


1. Voyez tome VIII, page 522.