Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/172

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plus modérés, qu’il me prit vivement par le bras, et s’écria : « uh ! pardonnez ma singulière conduite ! Vous m’avez inspiré tant de confiance que je dois tout vous découvrir. Cet homme, tel que vous me le décrivez, aurait dû me répondre. Je lui ai adressé une lettre détaillée, cordiale ; je lui ai peint ma situation, mes souffrance* ; je l’ai prié de s’intéresser à moi, de me conseiller, de m’aider, et voilà:des mois écoulés sans que j’aie de ses nouvelles ! Une confiance si illimitée aurait mérité du moins un mot de refus. »

Je répondis que je ne pouvais ni expliquer ni justifier une pareille conduite. Je savais seulement par ma propre expérience qu’une ardeur impétueuse de l’esprit et du tempérament mettait souvent ce jeune homme, d’ailleurs bien intentionné, bienveillant et secourable, hors d’état d’agir et même de se mouvoir.

« Puisque le hasard nous a menés si loin, reprit-il avec quelque fermeté, il faut que je vous lise la lettre, et vous jugerez si elle méritait une réponse. » Puis il s’assit devant moi, et commença la lecture de ces feuilles, que je savais par cœur. Le lecteur cadrait parfaitement avec la lettre. Je ne m’étais senti pour lui aucun attrait avant de l’avoir vu, et sa présence ne changea pas mes dispositions. Je ne pouvais lui refuser l’estime, l’intérêt, qui m’avaient décidé à faire cette course aventureuse, car il montrait une sérieuse volonté, de nobles intentions ; mais, quoiqu’il fût question des sentiments les plus tendres, l’exposition restait sans grâce, et laissait fortement paraître un étroit égoisme. Quand il eut achevé, il me demanda avec impatience ce que j’en pensais, et si une lettre pareille n’aurait pas mérité, exigé une réponse.

L’état déplorable du pauvre Plessing m’était toujours plus manifeste ; il n’avait jamais porté son attention sur le monde extérieur ; redevable à la lecture d’une instruction variée, il avait tourné en dedans toutes ses forces, toutes ses inclinations, et, comme il ne trouvait en lui-même aucun génie producteur, il s’était, on peut le dire, plongé dans l’abfme.

« Je crois deviner, lui répondis-je, pourquoi le jeune homme qui vous avait inspiré tant confiance est resté muet à votre égard : ses idées actuelles s’éloignent trop des vôtres pour